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lable, le défenseur de la constitution, l’un des fondateur du système qui a porté si haut la fortune de la Grande-Bretagne. Et qu’on ne croie pas que cette indulgence de l’opinion publique envers les hommes qui ont agrandi ou illustré une nation, cette disposition à oublier leurs fautes en considération de leurs services, a pour unique cause une admiration enthousiaste ou une aveugle reconnaissance : elle repose, à vrai dire, sur un sentiment de justice et de vérité non calculé peut-être, purement instinctif, et dont ceux qui l’éprouvent auraient quelque peine à se rendre compte, mais qui n’en est pas moins réel. Quand on pense sérieusement à tout ce qu’il faut d’énergie pour prendre une part active et efficace au gouvernement des états, à l’ardeur, à la passion qu’il est nécessaire d’y porter pour ne pas se laisser décourager par les dégoûts et les déceptions sans nombre réservés aux hommes publics, à tout ce qu’il doit y avoir d’amer et de poignant dans les mécomptes de l’ambition, dont les jouissances même sont parfois si âpres et si violentes, il est impossible de ne pas comprendre que les organisations propres à de tels combats ne peuvent être jugées d’après les règles ordinaires. La force même qui leur a été donnée pour remplir leur mission nécessaire, en les livrant aux plus terribles tentations, les expose à des écarts qu’on ne doit pas justifier sans doute, qu’on ne doit surtout pas ériger en actes de vertu, mais qu’il faut, pour être équitable, excuser dans une certaine mesure toutes les fois qu’il est possible d’en rattacher le principe à des intentions généreuses où à de nobles illusions, toutes les fois que rien de bas, de sordide, de grossièrement égoïste ne se mêle au sentiment qui les a inspirés.

Je n’ai plus que peu de mots à dire pour terminer cette esquisse de la vie et du caractère de lord Chatham. Des mœurs exemplaires, l’amour de la famille, une extrême bienveillance pour les amis dont le cercle restreint composait sa société habituelle, tel est l’aspect sous lequel on s’accorde à nous le montrer dans la vie privée. Sa conversation était pleine d’agrément ; il aimait beaucoup la musique ; il avait beaucoup de goût pour la poésie et pour la littérature légère. Enfin, le jardinage et les autres occupations de la campagne lui procuraient des distractions auxquelles il semblait se plaire singulièrement. Ce n’est pas sans quelque peine que l’imagination accepte ce portrait de l’homme d’état si sévère, si impérieux, je dirai presque si intraitable dans sa vie politique. L’histoire cependant est remplie de pareils contrastes.


Louis de Viel-Castel.