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entamer des traités de commerce, parcourir ses pêcheries et ses comptoirs et donner secours aux bâtimens marchands ; il faut qu’une injure particulière ait été faite au pavillon d’une puissance pour que le navire de guerre abandonne sa station. Il cherche alors à travers les solitudes de l’Océan le pirate, qui lui échappe presque toujours, parce que l’officier n’a qu’un temps limité pour sa croisière et que des affaires plus graves, des négociations commencées, des troubles dans les lieux trop brusquement abandonnés, le rappellent impérieusement au point de station. Une marine fondée dans le but spécial de protéger, contre les négriers et les forbans, les intérêts communs des nations, ne pourrait-elle assurer plus complètement la sécurité des mers ?

Après avoir rêvé pour Rhodes le retour d’un glorieux passé, je ne pus reporter ma pensée sans tristesse sur l’état actuel de cette île, autrefois si florissante. Les chevaliers avaient fait du port de Rhodes leur arsenal maritime. Là s’élevaient les vastes ateliers des galères et les hangars modestes des navires marchands, qui sous l’égide de la religion se livraient à un commerce très étendu. Après la conquête, les Turcs, soutenus encore par l’esprit fanatique et guerrier qui fit long-temps leur force, utilisèrent les belles forêts de chênes et de pins qui couvraient les montagnes de l’île. Des galères construites à Rhodes allèrent grossir les flottes musulmanes, ou sortirent en course contre les chrétiens. La population grecque elle-même profita d’abord des ressources immenses qu’offrait l’exploitation de ce prodigieux empire, alors dans toute sa splendeur. Dociles à leur génie national, qui depuis ne s’est pas démenti, les Grecs devinrent les facteurs de l’Asie, des villes de Syrie et d’Égypte ; leurs petits bâtimens couvrirent l’Archipel, et en même temps que se comblaient le Pirée et les autres ports de la Grèce soumise, les sacolèves arrivaient en foule à Rhodes, qui devint comme l’entrepôt des différentes échelles du Levant.

En dehors de cette navigation générale qui procurait de grands bénéfices aux armateurs, les principales exportations de Rhodes consistaient dès-lors en vins du pays, en bois de construction. Les oranges, les citrons, les figues, les amandes, tous ces fruits que l’antiquité allait chercher à Rhodes, et qui sont toujours renommés, étaient expédiés à Smyrne, à Beyrouth, partout où affluaient les Vénitiens. De riches Turcs, des pachas exilés, affermaient leurs terres aux cultivateurs grecs, qui vendaient à la ville les grains que leurs compatriotes savaient diriger vers les contrées où la disette se faisait sentir. Maintenant tout est changé, et l’on ne saurait établir par des chiffres le résultat d’un commerce qui ne se révèle nulle part. Le port militaire