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L’ÎLE DE RHODES.

est désert, les vagues viennent mourir le long des grèves sur lesquelles il ne reste plus de vestiges d’ateliers ; les sables arides s’étendent au pied des remparts ; quelques barques de pêcheurs halées sur la plage, leurs filets étendus au soleil, des matelots couchés à l’ombre des bordages, un silence éternel, ce silence de mort qui pèse sur toute la Turquie : tel est l’aspect de ce lieu si animé autrefois, et qui retentirait bientôt des cris des marins, si un gouvernement intelligent pouvait mettre à profit les élémens de prospérité de ce beau pays.

S’il n’y a rien à dire du commerce actuel de Rhodes, on ne peut méconnaître du moins les ressources que présente cette terre fertile, dont les moissons, autrefois si abondantes, ne suffisent plus à nourrir vingt-cinq mille habitans. Les productions les plus importantes sont les vins. Quoique justement estimés, ils ne donnent cependant pas lieu à des exportations considérables. Les vins du Levant sont doux ou capiteux, et ne peuvent servir à l’usage ordinaire des Francs ; celui de Rhodes seul, mitigé avec de l’eau comme ceux de France, remplacerait avantageusement, surtout par le prix, les vins d’Europe. La vigne croît sans efforts et n’exige qu’un léger travail ; mais si elle était mieux cultivée, et si les principes les plus simples de la fabrication étaient connus des ignorans vendangeurs, Rhodes fournirait des vins précieux, aussi recherchés que ses fruits savoureux, qui en ce moment sont à peu près les seuls produits envoyés par l’île sur les côtes voisines.

De temps en temps arrive un navire qui vient chercher des bois de construction pour l’arsenal de Constantinople. Alors le gouverneur loue des Grecs qui vont abattre sans choix dans l’intérieur les arbres encore debout ; mais comme les Turcs ne prévoient rien et ne songent jamais à l’avenir, personne ne surveille les ouvriers, qui ravagent les collines charmantes dont les chênes et les sapins auraient une valeur incalculable pour les petites marines des Sporades et des Cyclades, où le sol est complètement déboisé.

L’île est remplie d’oliviers, d’arbres à mastic et à térébenthine ; ses vallées profondes, les versans des montagnes, sont couverts de ces arbustes que l’absence du maître ou sa pauvreté empêchent de soigner. Quelques Grecs possèdent de grossiers pressoirs où ils jettent pêle-mêle les olives bonnes et flétries qu’ils pillent, comme les oiseaux, dans les champs abandonnés. L’huile épaisse est consommée par les habitans, et ne sort guère de Rhodes. Toutes les îles, toutes les rives d’Orient possèdent ainsi des forêts d’oliviers, qui croissent et meurent au hasard dans les campagnes dépeuplées. Le mastic sert