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épreuve, l’amitié de ce noble Laurent, du camarade si dévoué de Leipzig, et les bons soins de sa mère, qui ne manquait jamais, au bout du mois, d’augmenter en cachette de quelques thalers les appointemens du modeste précepteur. En outre, le domaine de Toepen avait l’incontestable avantage d’être situé aux environs de Hol, à deux pas de Rehau, et si les livres n’abondaient guère au château du riche conseiller, du moins était-il très facile de s’en procurer à l’aide de petits pèlerinages entrepris le dimanche à la bibliothèque de l’excellent Vogel. Nous avons parlé plus haut de la tolérance du digne vieillard. Le ministre chargé du soin de diriger la conscience des habitans de Toepen était loin de professer de pareils sentimens : sous prétexte de défendre les saintes Écritures, dont il ne voyait que la lettre, impuissant d’ailleurs à comprendre la portée du paradoxe de Jean-Paul, cet homme l’attaqua de front par un libelle, le poursuivit publiquement dans sa chaire, et n’eut pas honte de le dénoncer à la famille de OErthel comme athée et capable de pervertir le jeune élève qu’on lui confiait. À cette indigne manifestation Jean-Paul riposta dédaigneusement, froidement. Nous citerons quelques mots de sa réponse, qui pourrait bien se trouver aujourd’hui de circonstance.

« Si j’ai tant tardé jusqu’ici à vous écrire, c’est que franchement j’avais mieux à faire que de m’occuper de vos injures ; cependant je dois à l’honneur de monsieur le conseiller de repousser des calomnies qui doivent nécessairement l’atteindre à son tour : car si je suis un apôtre d’athéisme et de suicide qu’est-il donc, le père qui n’hésite point à donner un tel apôtre pour précepteur à son enfant ? Mais non, vous feriez mieux de me dire, vous, ce qu’est un ministre de Dieu qui intente sans preuves une aussi mortelle accusation contre un homme chrétien comme lui, et qui ne l’a jamais offensé ? Peut-être mettrez-vous cette prédication indigne, également blessante pour la morale religieuse, pour les convenances humaines et pour la raison ; peut-être, dis-je, la mettrez-vous sur le compte de la chaleur qu’il faisait ce jour-là (la lettre de Jean-Paul est datée du 3 septembre). Mais il s’agit ici moins de votre tête que de votre cœur, dont la démence me semble pire. Quand avez-vous reçu ma profession de foi, que vous prétendez si bien me connaître, et jouer à mon égard dans ce village le rôle de grand-inquisiteur ? Pour moi, je vous l’avouerai franchement, si j’étais ministre de la religion, au lieu d’imiter ces braves pasteurs qui passent leur vie à prêcher la morale, comme si pour mériter le ciel il suffisait d’être vertueux, je les accuserais tout simplement d’hérésie ; je convertirais cette sainte place en un champ