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JEAN-PAUL RICHTER.

n’est point comme l’ironie pour lui opposer la grandeur, mais tout simplement parce que devant l’infini toute chose est égale ou plutôt rien ne compte. Qu’on s’étonne ensuite si les humoristes portent sur leur physionomie une empreinte si grave et nous viennent en tel nombre d’un pays mélancolique.

En 1796, Jean-Paul se trouvait à la tête d’un bagage littéraire assez considérable, et de plus commençait à voir clair dans le chaos de son intelligence. Après avoir passé les neuf années qui suivirent la publication de son premier ouvrage à travailler, ainsi qu’il le dit lui-même, dans la boutique à vinaigre de la satire, la biographie aigre-douce de Wuz lui servant de transition à la Loge invisible, il s’était conquis un genre où ses trésors de mélancolie et de tendresse, toutes ces émotions, toutes ces larmes ineffables du printemps de la vie qu’il avait fallu jusque-là refouler dans le fond de son cœur, pouvaient enfin se donner libre cours. La destinée, jusque-là si rigoureuse, en se détendant un peu, lui permettait de se livrer désormais exclusivement et de toute l’ardeur de sa jeunesse aux pratiques de la vie littéraire. Jean-Paul usa du droit pour reprendre son indépendance. Je n’élèverai plus d’autres enfans que les miens, écrit-il à M. de Spangenberg, qui lui propose de se charger de l’éducation des enfans du comte de Reuss-Ebersdorf, bien décidé que je suis à vivre et à mourir selon la vocation que la destinée m’a faite, et dans la médiocrité de la fortune. En me chargeant des attrayantes fonctions que vous m’offrez, il me faudrait absolument négliger ou mes élèves ou les muses. Or, ni les uns ni les autres n’admettent de partage, et je sens que j’ai tant à écrire, qu’en supposant que je ne me lève ou plutôt que je ne tombe de ma table de travail qu’à l’âge de quatre-vingts ans, je trouverai encore prématuré le veniam exeundi du cabinet d’étude de la vie que la mort me donnera. » Ces paroles en disent assez sur les instincts personnels du poète. Jean-Paul est homme de lettres dans toute la force du terme ; il en a les goûts casaniers, l’humeur ombrageuse, tout jusqu’aux petitesses ; il aime à s’enfouir seul dans sa taupinière de vieux livres pour y fureter en érudit. On a remarqué en Allemagne que là était son originalité à notre sens, ce mot-là ne convient pas, c’est sa monomanie qu’il fallait dire ; cette incroyable passion le prend dès le berceau, l’homme de lettres commence chez lui avec l’écolier. Il vous racontera quelque part qu’il se mit presque en même temps à former des lettres et à écrire des livres. Plus tard, l’étude de l’hébreu lui fournit l’occasion de rassembler autant d’alphabets, de grammaires et de commentaires qu’il peut s’en procurer ; à seize et dix-sept ans, il rédige déjà