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avons vu, au commencement de ce travail, combien Richter sentit à fond l’inestimable prix de la jeunesse, dans quel lustre éclatant, radieux, lui apparut cette divine aurore de la vie ; attristé du cours irréparable de cet âge d’or, il imagina de le faire revivre en d’autres zones, et, liant sa propre jeunesse à la jeunesse universelle, à l’idée d’immortalité, de transporter dans le domaine de l’espérance un bien qui, en dehors de cette illusion glorieuse, était échu sans retour au passé. On n’a point oublié quelle impression solennelle produisit sur lui l’idée de la mort ; il avait dix-huit ans[1], lorsque cette idée se présenta subitement à lui, un jour, comme il se promenait en pleine campagne. Ce fut là un véritable coup de foudre, d’autant plus terrible que, ne s’élevant point à l’abstraction de Herder ou de Goethe, il se laissa désormais envahir par ces mille épouvantes superstitieuses auxquelles succombe si facilement la faiblesse humaine. De là tant de fantômes dont son imagination semble par momens harcelée, de là ces dithyrambes apocalyptiques, véritables rêves d’un cerveau malade, cette vison de l’éternité traduite par Mme de Staël, et dans laquelle le Christ, au milieu du désespoir et des blasphèmes d’un monde qui se tord dans les convulsions de l’agonie, proclame le néant de la divinité. Prouver l’immortalité de l’ame, et cela par des argumens simples, plutôt humains que philosophiques, et tels que chacun croit en posséder une somme pareille dans son propre cœur, tel est le but que Richter se propose dans la Vallée de Campan, aussi bien que dans ses autres œuvres de la même catégorie. On a prétendu ne voir dans Jean-Paul qu’un interprète plus ou moins bien inspiré de cette philosophie critique qui fit tant de bruit en Allemagne vers la fin du siècle dernier. Sans nier tout-à-fait cette action du moment à laquelle peu de penseurs échappèrent du reste, nous dirons que Richter la subit à sa manière : en poète, en homme pour lequel la spéculation philosophique devient une pure affaire de sentiment. Avec lui, c’est toujours le sentiment qui parle, et vous le verrez appliquer au vague de nos espérances ce besoin de démonstration qu’il professe dans l’interprétation d’un rêve, d’un morceau de musique, d’un paysage vu au soleil couchant, toutes choses auxquelles il faut absolument qu’il attribue une portée mystique, ou, si vous l’aimez mieux, un texte surnaturel dont lui seul s’imagine avoir la clé.

Ainsi son argument pour l’immortalité de l’ame se fondera sur ce que l’ame humaine ayant en elle la notion du beau, de l’honnête et

  1. Voir notre premier article, livraison du 1er  septembre 1842.