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JEAN-PAUL RICHTER.

mille trouvailles de l’esprit et du style, dont le secret, il faut l’avouer, est à notre humoriste une sorte d’inaliénable apanage. On nous permettra cependant de détacher du groupe les Années d’école buissonnière, publiées immédiatement après Titan, en 1801, production écrite avec toute la verve de la jeunesse, mais d’un style moins obscur, moins touffu, dégagé autant qu’il se peut de tout ce fatras d’incidens parasites, de superfétations que lui-même appelle plaisamment queues de comète. On trouvera sans doute dans cet aimable livre plus d’une réminiscence de la Loge invisible et des autres ouvrages du poète, réminiscences de sentiment surtout, car, pour la forme, je le répète, elle a des variétés surprenantes : ainsi de ces deux frères Walt et Wult, en qui se personnifie pour la vingtième fois peut-être la double face du génie de Richter ; celui-là avec ses rêves ingénus, ses illusions de jeunesse, ses naïfs enthousiasmes ; celui-ci un peu vagabond, un peu bohême, au reste un connaisseur du monde, qu’il juge en humoriste, personnage à figurer dans un roman picaresque. On n’imagine pas de plus frais, de plus charmant tableau de cette heureuse vie de troubadour qu’on mène à vingt ans, de ces mille adorables folies qui vous traversent la tête en ces beaux jours d’ivresse et de soleil ! Avec quelle vérité, quel charme indéfinissable, sont décrites ces premières joies de la maison paternelle, cette virginité, cette sainteté de l’enfance et de tout ce qui s’y rattache ! Il ne se contente pas de peindre ; à ces émotions nécessairement relatives, à ces infiniment petits du monde psychologique, il rend leur importance absolue, leur mirage des jours passés ; on sent que cette vie bienheureuse se réveille en lui en ce moment, qu’il l’étudie, qu’il l’analyse au microscope de son cœur. Et comme il se sert à ravir de ce contraste qui lui a réussi tant de fois ! comme il oppose habilement l’idéal au réel, le fier enthousiasme de l’un des frères au scepticisme de l’autre, le bon visionnaire au raisonneur moisi ! Tout cela est excellent, écrit de main de maître, et s’il fallait opter entre Titan et les Années d’école buissonnière, deux chefs-d’œuvre chacun sur la limite extrême, peut-être inclinerait-on encore à préférer le coup d’œil si complet, si net, si poétiquement vrai, jeté dans la nature humaine, aux divagations par-delà les nuages et les étoiles.

À cet ordre d’idées transcendantales, de divagations éthérées, appartient naturellement la philosophie de Jean-Paul, philosophie religieuse par essence, résultant moins de la méditation que de ce regard prophétique du visionnaire, et dont l’expression morale doit, à mon sens, se résumer ainsi : vivre pour l’immortalité, pour la divinité ! Nous