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DON SANCHE D’ARAGON.

Et, pour trancher le cours de leurs discussions,
Il faut fermer la porte à leurs prétentions.
Il m’en faut choisir un : eux-mêmes m’y convient ;
Mon peuple m’en conjure et mes états m’en prient ;
Et même, par mon ordre, m’en présentent trois,
Dont mon cœur, à leur gré, peut faire un digne choix…
...................

Tout le monde a vu dans une comédie récente Mlle Plessy rendre avec beaucoup d’esprit et de naturel les impatiences et l’ennui d’une autre jeune reine isolée et vaporeuse. Dans le tableau de Corneille, les ennuis et les faiblesses de la royauté sont peints en traits à la fois moins marqués et plus respectueux, et ils étaient par cela même plus difficiles à saisir. Mlle Rachel y est parvenue avec cette justesse dans le dessin général qui lui est propre. Nous n’oserions dire que dans les momens où la passion d’Isabelle pour Carlos s’échappe et se trahit en dépit d’elle-même, Mlle Rachel ait aussi complètement réalisé l’idéal du rôle. À la vérité, il faudrait ici que l’actrice aidât un peu au poète qui, dans plusieurs de ces occasions, ne s’est pas montré peut-être complètement égal à sa tâche. Toutefois, l’intention de l’auteur n’est pas douteuse, puisque les prétendans à la main d’Isabelle aperçoivent clairement sa passion pour Carlos et la lui reprochent hautement :

Toujours Carlos, madame ! et toujours son bonheur
Fait dépendre de lui le nôtre et votre cœur !…

Il serait donc désirable, à notre avis, que lorsqu’Isabelle parle à Carlos, ou seulement quand elle parle de lui, on remarquât dans ses yeux, dans sa voix, dans son geste, plus de ces indices révélateurs, plus de ces éclairs passionnés que Mlle Mars savait si bien prêter à la voix et même au silence d’Araminte et de Silvia.

Il y a surtout, dans Don Sanche, une scène capitale, une scène entre Carlos et Isabelle, où celle-ci veut empêcher son amant de s’exposer à un triple duel, et où, dans son trouble, elle laisse échapper l’aveu de sa passion en termes formels :

… Eh bien ! oui, Carlos, j’aime !

Cette scène offre une frappante similitude (toutes proportions gardées néanmoins) avec une des plus belles qui soient au théâtre, celle où