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ARSÈNE GUILLOT.

s’approchait. L’inconnue la remercia et courut à cet homme, qui parut la comprendre à demi-mot. Pendant que Mme de Piennes reprenait son livre de messe et rajustait son voile, elle vit la dame au cierge tirer une petite bourse de sa poche, y prendre au milieu de beaucoup de menue monnaie une pièce de cinq francs solitaire, et la remettre au bedeau en lui faisant tout bas de longues recommandations qu’il écoutait en souriant.

Toutes les deux sortirent de l’église en même temps ; mais la dame au cierge marchait fort vite, et Mme de Piennes l’eut bientôt perdue de vue, quoiqu’elle suivît la même direction. Au coin de la rue qu’elle habitait, elle la rencontra de nouveau. Sous son cachemire de hasard, l’inconnue cherchait à cacher un pain de quatre livres acheté dans une boutique voisine. En revoyant Mme de Piennes, elle baissa la tête, ne put s’empêcher de sourire et doubla le pas. Son sourire disait : « Que voulez-vous ? je suis pauvre. Moquez-vous de moi. Je sais bien qu’on n’achète pas du pain en capote rose et en cachemire. » Ce mélange de mauvaise honte, de résignation et de bonne humeur n’échappa point à Mme de Piennes. Elle pensa non sans tristesse à la position probable de cette jeune fille. « Sa piété, se dit-elle, est plus méritoire que la mienne. Assurément son offrande d’un écu est un sacrifice beaucoup plus grand que le superflu dont je fais part aux pauvres sans m’imposer la moindre privation. » Puis elle se rappela les deux oboles de la veuve, plus agréables à Dieu que les fastueuses aumônes des riches. « Je ne fais pas assez de bien, pensa-t-elle. Je ne fais pas tout ce que je pourrais faire. » Tout en s’adressant ainsi mentalement des reproches qu’elle était loin de mériter, elle rentra chez elle. Le cierge, le pain de quatre livres, et surtout l’offrande de l’unique pièce de cinq francs, avaient gravé dans la mémoire de Mme de Piennes la figure de la jeune femme, qu’elle regardait comme un modèle de piété.

Elle la rencontra encore assez souvent dans la rue près de l’église, mais jamais aux offices. Toutes les fois que l’inconnue passait devant Mme de Piennes, elle baissait la tête et souriait doucement. Ce sourire bien humble plaisait à Mme de Piennes. Elle aurait voulu trouver une occasion d’obliger la pauvre fille, qui d’abord lui avait inspiré de l’intérêt, et qui maintenant excitait sa pitié ; car elle avait remarqué que la capote rose se fanait, et le cachemire avait disparu. Sans doute il était retourné chez la revendeuse. Il était évident que saint Roch n’avait point payé au centuple l’offrande qu’on lui avait adressée.

Un jour Mme de Piennes vit entrer à Saint-Roch une bière suivie