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d’un homme assez mal mis, qui n’avait pas de crêpe à son chapeau. C’était une manière de portier. Depuis plus d’un mois, elle n’avait pas rencontré la jeune femme au cierge, et l’idée lui vint qu’elle assistait à son enterrement. Rien de plus probable, car elle était si pâle et si maigre la dernière fois que Mme de Piennes l’avait vue. Le bedeau questionné interrogea l’homme qui suivait la bière. Celui-ci répondit qu’il était concierge d’une maison rue Louis-le-Grand ; qu’une de ses locataires était morte, une Mme Guillot, n’ayant ni parens ni amis, rien qu’une fille, et que, par pure bonté d’ame, lui, concierge, allait à l’enterrement d’une personne qui ne lui était de rien. Aussitôt Mme de Piennes se représenta que son inconnue était morte dans la misère, laissant une petite fille sans secours, et elle se promit d’envoyer aux renseignemens un ecclésiastique qu’elle employait d’ordinaire pour ses bonnes œuvres.

Le surlendemain, une charrette en travers dans la rue arrêta sa voiture quelques instans, comme elle sortait de chez elle. En regardant par la portière d’un air distrait, elle aperçut rangée contre une borne la jeune fille qu’elle croyait morte. Elle la reconnut sans peine, quoique plus pâle, plus maigre que jamais, habillée de deuil, mais pauvrement, sans gants, sans chapeau. Son expression était étrange. Au lieu de son sourire habituel, elle avait tous les traits contractés, ses grands yeux noirs étaient hagards ; elle les tournait vers Mme de Piennes, mais sans la reconnaître, car elle ne voyait rien. Dans toute sa contenance se lisait non pas la douleur, mais une résolution furieuse. La charrette s’était écartée, et la voiture de Mme de Piennes s’éloignait au grand trot ; mais l’image de la jeune fille et son expression désespérée poursuivirent Mme de Piennes pendant plusieurs heures.

À son retour, elle vit un grand attroupement dans sa rue. Toutes les portières étaient sur leurs portes et faisaient aux voisines un récit qu’elles semblaient écouter avec un vif intérêt. Les groupes se pressaient surtout devant une maison proche de celle qu’habitait Mme de Piennes. Tous les yeux étaient tournés vers une fenêtre ouverte à un troisième étage, et dans chaque petit cercle un ou deux bras se levaient pour la signaler à l’attention publique ; puis tout à coup les bras se baissaient vers la terre, et tous les yeux suivaient ce mouvement. Quelque évènement extraordinaire venait d’arriver.

En traversant son antichambre, Mme de Piennes trouva ses domestiques effarés, chacun s’empressant au-devant d’elle pour avoir le premier l’avantage de lui annoncer la grandes nouvelle du quartier. Mais, avant qu’elle pût faire une question, sa femme de chambre