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ARSÈNE GUILLOT.

s’était écriée : — Ah ! madame !… si madame savait !… — Et, ouvrant les portes avec une indicible prestesse, elle était parvenue avec sa maîtresse dans le sanctum sanctorum, je veux dire le cabinet de toilette, inaccessible au reste de la maison.

— Ah ! madame, dit Mlle Joséphine tandis qu’elle détachait le châle de Mme de Piennes, j’en ai les sangs tournés ! Jamais je n’ai rien vu de si terrible, c’est-à-dire je n’ai pas vu, quoique je sois accourue tout de suite après… Mais pourtant…

— Que s’est-il donc passé ? Parlez vite, mademoiselle.

— Eh bien ! madame, c’est qu’à trois portes d’ici, une pauvre malheureuse jeune fille s’est jetée par la fenêtre, il n’y a pas trois minutes ; si madame fût arrivée une minute plus tôt, elle aurait entendu le coup.

— Ah ! mon Dieu ! Et la malheureuse s’est tuée ?…

— Madame, cela faisait horreur. Baptiste, qui a été à la guerre, dit qu’il n’a jamais rien vu de pareil. D’un troisième étage, madame !

— Est-elle morte sur le coup ?

— Oh ! madame, elle remuait encore ; elle parlait même. « Je veux qu’on m’achève ! » qu’elle disait. Mais ses os étaient en bouillie. Madame peut bien penser quel coup elle a dû se donner.

— Mais cette malheureuse… l’a-t-on secourue ?… A-t-on envoyé chercher un médecin, un prêtre ?…

— Pour un prêtre,… madame le sait mieux que moi… Mais, si j’étais prêtre… Une malheureuse assez abandonnée pour se tuer elle-même !… D’ailleurs, ça n’avait pas de conduite… On le voit assez… Ça avait été à l’Opéra, à ce qu’on m’a dit… Toutes ces demoiselles-là finissent mal… Elle s’est mise à la fenêtre ; elle a noué ses jupons avec un ruban rose, et… vlan !

— C’est cette pauvre fille en deuil ! s’écria Mme de Piennes se parlant à elle-même.

— Oui, madame ; sa mère est morte il y a trois ou quatre jours. La tête lui aura tourné… Avec cela, peut-être que son galant l’aura plantée là… Et puis, le terme est venu… Pas d’argent, ça ne sait pas travailler… Des mauvaises têtes !… Un mauvais coup est bientôt fait…

Mlle Joséphine continua quelque temps de la sorte sans que Mme de Piennes répondît. Elle semblait méditer tristement sur le récit qu’elle venait d’entendre. Tout d’un coup, elle demanda à Mlle Joséphine :

— Sait-on si cette malheureuse fille a ce qu’il lui faut pour son