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ARSÈNE GUILLOT.

Et se tournant autant que le lui permettait l’appareil qui la fixait sur son lit, elle cacha sa tête dans un oreiller pour ne plus rien voir.

— Écoutez, Arsène, dit Mme de Piennes d’un ton grave. J’ai des desseins sur vous. Je veux faire de vous une honnête femme. J’en ai l’assurance dans votre repentir. Je vous reverrai souvent, j’aurai soin de vous. Un jour, vous me devrez votre propre estime. — Et elle lui prit la main, qu’elle serra légèrement.

— Vous m’avez touchée ! s’écria la pauvre fille, vous m’avez pressé la main. — Et avant que Mme de Piennes pût retirer sa main, elle l’avait saisie et la couvrait de baisers et de larmes.

— Calmez-vous, calmez-vous, ma chère, disait Mme de Piennes. Ne me parlez plus de rien. Maintenant je sais tout, et je vous connais mieux que vous ne vous connaissez vous-même. C’est moi qui suis le médecin de votre tête… de votre mauvaise tête. Vous m’obéirez, je l’exige, tout comme à votre autre docteur. Je vous enverrai un ecclésiastique de mes amis, vous l’écouterez. Je vous choisirai de bons livres, vous les lirez. Nous causerons quelquefois. Quand vous vous porterez bien, alors nous nous occuperons de votre avenir.

La garde rentra, tenant une fiole qu’elle rapportait de chez le pharmacien. Arsène pleurait toujours. Mme de Piennes lui serra encore une fois la main, mit le rouleau de louis sur la petite table, et sortit disposée peut-être encore plus favorablement pour sa pénitente qu’avant d’avoir entendu son étrange confession.

Pourquoi, madame, aime-t-on toujours les mauvais sujets ? Depuis l’enfant prodigue jusqu’à votre chien Diamant, qui mord tout le monde et qui est la plus méchante bête que je connaisse, on inspire d’autant plus d’intérêt qu’on en mérite moins. — Vanité ! pure vanité, madame, que ce sentiment-là ! plaisir de la difficulté vaincue ! Le père de l’enfant prodigue a vaincu le diable et lui a retiré sa proie ; vous avez triomphé du mauvais naturel de Diamant à force de gimblettes. Mme de Piennes était fière d’avoir vaincu la perversité d’une courtisane, d’avoir détruit par son éloquence les barrières que vingt années de séduction avaient élevées autour d’une pauvre ame abandonnée. Et puis, peut-être encore, faut-il le dire ? à l’orgueil de cette victoire, au plaisir d’avoir fait une bonne action se mêlait ce sentiment de curiosité que mainte femme vertueuse éprouve à connaître une femme d’une autre espèce. Lorsqu’une cantatrice entre dans un salon, j’ai remarqué d’étranges regards tournés sur elle. Ce ne sont pas les hommes qui l’observent le plus. Vous-même, madame, l’autre soir, aux Français, ne regardiez-vous pas de toute votre lorgnette cette