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du lit de la malade. Peut-être même aurait-elle quitté la chambre, si l’humanité, plus forte que son dégoût auprès de cette femme perdue, ne lui eût reproché de la laisser seule dans un moment où elle était en proie au plus violent désespoir. Il y eut un moment de silence, puis Mme de Piennes, les yeux baissés, murmura faiblement :

— Votre mère ! malheureuse ! Qu’osez-vous dire ?

— Oh ! ma mère était comme toutes les mères… toutes les mères à nous… Elle avait fait vivre la sienne… je l’ai fait vivre aussi… Heureusement que je n’ai pas d’enfant. — Je vois bien, madame, que je vous fais peur… mais que voulez-vous ?… Vous avez été bien élevée, vous n’avez jamais pâti. Quand on est riche, il est aisé d’être honnête. Moi, j’aurais été honnête si j’en avais eu le moyen. J’ai eu bien des amans… je n’ai jamais aimé qu’un seul homme… Il m’a plantée là. Si j’avais été riche, nous nous serions mariés ; nous aurions fait souche d’honnêtes gens… Tenez, madame, je vous parle comme cela, tout franchement, quoique je voie bien ce que vous pensez de moi, et vous avez raison… Mais vous êtes la seule femme honnête à qui j’aie parlé de ma vie, et vous avez l’air si bonne, si bonne !… que je me suis dit tout à l’heure en moi-même : Même quand elle me connaîtra, elle aura pitié de moi. Je m’en vais mourir, je ne vous demande qu’une chose… C’est, quand je serai morte, de faire dire une messe pour moi dans l’église où je vous ai vue pour la première fois. Une seule prière, voilà tout, et je vous remercie du fond du cœur.

— Non, vous ne mourrez pas ! s’écria Mme de Piennes fort émue. Dieu aura pitié de vous, pauvre pécheresse. Vous vous repentirez de vos désordres, et il vous pardonnera. Si mes prières peuvent quelque chose pour votre salut, elles ne vous manqueront pas. Ceux qui vous ont élevée sont plus coupables que vous. Ayez du courage seulement, et espérez. Tâchez surtout d’être plus calme, ma pauvre enfant ! Il faut guérir le corps ; l’ame est malade aussi, mais moi je réponds de sa guérison.

Elle s’était levée en parlant, et roulait entre ses doigts un papier qui contenait quelques louis. — Tenez, dit-elle, si vous aviez quelque fantaisie… Et elle glissait sous un oreiller son petit présent.

— Non, madame ! s’écria Arsène impétueusement en repoussant le papier, je ne veux rien de vous que ce que vous m’avez promis. Adieu. Nous ne nous reverrons plus. Faites-moi porter dans un hôpital, pour que je finisse sans gêner personne. Jamais vous ne pourriez faire de moi rien qui vaille. Une grande dame comme vous aura prié pour moi ; je suis contente. Adieu.