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venir était assez vif pour arrêter toutes les conjectures ridicules qu’une personne moins raisonnable aurait pu former sur le bonnet de travers de Mlle Joséphine. En approchant du salon, elle fut un peu choquée d’entendre une belle voix de basse qui chantait gaiement en s’accompagnant sur le piano cette barcarole napolitaine :

Addio Teresa,
Teresa, addio !
Al mio ritorno
Ti sposerò.

Elle ouvrit la porte et interrompit le chanteur en lui tendant la main :

— Mon pauvre monsieur Max, que j’ai de plaisir à vous revoir ! Max se leva précipitamment et lui serra la main en la regardant d’un air effaré, sans pouvoir trouver une parole.

— J’ai bien regretté, continua Mme de Piennes, de ne pouvoir aller à Rome lorsque votre bonne tante est tombée malade. Je sais les soins dont vous l’avez entourée, et je vous remercie bien du dernier souvenir d’elle que vous m’avez envoyé.

La figure de Max, naturellement gaie, pour ne pas dire rieuse, prit une expression soudaine de tristesse : — Elle m’a bien parlé de vous, dit-il, et jusqu’au dernier moment. Vous avez reçu sa bague, je le vois, et le livre qu’elle lisait encore le matin…

— Oui, Max, je vous en remercie. Vous m’annonciez, en m’envoyant ce triste présent, que vous quittiez Rome, mais vous ne me donniez pas votre adresse ; je ne savais où vous écrire. Pauvre amie ! mourir ainsi loin de son pays ! Heureusement vous êtes accouru aussitôt… Vous êtes meilleur que vous ne voulez le paraître, Max… je vous connais bien.

— Ma tante me disait pendant sa maladie : « Quand je ne serai plus de ce monde, il n’y aura plus que Mme de Piennes pour te gronder… (Et il ne put s’empêcher de sourire.) Tâche qu’elle ne te gronde pas trop souvent. » Vous le voyez, madame, vous vous acquittez mal de vos fonctions.

— J’espère que j’aurai une sinécure maintenant. On me dit que vous êtes réformé, rangé, devenu tout-à-fait raisonnable ?

— Et vous ne vous trompez pas, madame ; j’ai promis à ma pauvre tante de devenir bon sujet, et…

— Vous tiendrez parole, j’en suis sûre ?

— Je tâcherai. En voyage c’est plus facile qu’à Paris ; cependant… Tenez, madame, je ne suis ici que depuis quelques heures, et déjà j’ai