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ARSÈNE GUILLOT.

résisté à des tentations. En venant chez vous, j’ai rencontré un de mes anciens amis qui m’a invité à dîner avec un tas de garnemens, — et j’ai refusé.

— Vous avez bien fait.

— Oui, mais faut-il vous le dire ? c’est que j’espérais que vous m’inviteriez.

— Quel malheur ! je dîne en ville. Mais demain…

— En ce cas, je ne réponds plus de moi. À vous la responsabilité du dîner que je vais faire.

— Écoutez, Max : l’important, c’est de bien commencer. N’allez pas à ce dîner de garçons. Je dîne, moi, chez Mme Darsenay ; venez-y le soir, et nous causerons.

— Oui, mais Mme Darsenay est un peu bien ennuyeuse ; elle me fera cent questions. Je ne pourrai vous dire un mot ; je dirai des inconvenances, et puis elle a une grande fille osseuse qui n’est peut-être pas encore mariée…

— C’est une personne charmante… et, à propos d’inconvenances, c’en est une de parler d’elle comme vous faites.

— J’ai tort, c’est vrai ; mais… arrivé d’aujourd’hui, n’aurais-je pas l’air bien empressé ?…

— Eh bien ! vous ferez comme vous voudrez ; mais voyez-vous, Max… comme l’amie de votre tante, j’ai le droit de vous parler franchement : évitez vos connaissances d’autrefois. Le temps a dû rompre tout naturellement bien des liaisons qui ne vous valaient rien ; ne les renouez pas : je suis sûre de vous tant que vous ne serez pas entraîné. À votre âge… à notre âge, il faut être raisonnable. — Mais laissons un peu les conseils et les sermons, et parlez-moi de ce que vous avez fait depuis que nous ne nous sommes vus. Je sais que vous êtes allé en Allemagne, puis en Italie ; voilà tout. Vous m’avez écrit deux fois, sans plus, qu’il vous en souvienne. Deux lettres en deux ans, vous sentez que cela ne m’en a guère appris sur votre compte.

— Mon Dieu ! madame, je suis bien coupable… mais je suis si… il faut bien le dire, — si paresseux !… J’ai commencé vingt lettres pour vous ; mais que pouvais-je vous dire qui vous intéressât ?… Je ne sais pas écrire des lettres, moi… Si je vous avais écrit toutes les fois que j’ai pensé à vous, tout le papier de l’Italie n’aurait pu y suffire.

— Eh bien ! qu’avez-vous fait ? comment avez-vous occupé votre temps ? Je sais déjà que ce n’est point à écrire.

— Occupé !… Vous savez bien que je ne m’occupe pas, malheureusement. — J’ai vu, j’ai couru. J’avais des projets de peinture, mais la vue