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de tant de beaux tableaux m’a radicalement guéri de ma passion malheureuse. — Ah !… et puis le vieux Nibby avait fait de moi presque un antiquaire. Oui, j’ai fait faire une fouille à sa persuasion… On a trouvé une pipe cassée et je ne sais combien de vieux tessons… et puis à Naples j’ai pris des leçons de chant, mais je n’en suis pas plus habile… J’ai…

— Je n’aime pas trop votre musique, quoique vous ayez une belle voix et que vous chantiez bien. Cela vous met en relation avec des gens que vous n’avez que trop de penchant à fréquenter.

— Je vous entends ; mais à Naples, quand j’y étais, il n’y avait guère de danger. La prima donna pesait cent cinquante kilogrammes, et la seconda donna avait la bouche comme un four et un nez comme la tour du Liban. Enfin, deux ans se sont passés sans que je puisse dire comment. Je n’ai rien fait, rien appris, mais j’ai vécu deux ans sans m’en apercevoir.

— Je voudrais vous savoir occupé ; je voudrais vous voir un goût vif pour quelque chose d’utile. Je redoute l’oisiveté pour vous.

— À vous parler franchement, madame, les voyages m’ont réussi en cela que, ne faisant rien, je n’étais pas non plus absolument oisif. Quand on voit de belles choses, on ne s’ennuie pas, et moi, quand je m’ennuie, je suis bien près de faire des bêtises. Vrai, je suis devenu assez rangé, et j’ai même oublié un certain nombre de manières expéditives que j’avais de dépenser mon argent. Ma pauvre tante a payé mes dettes, et je n’en ai plus fait ; je ne veux plus en faire. J’ai de quoi vivre en garçon, et, comme je n’ai pas la prétention de paraître plus riche que je ne suis, je ne ferai plus d’extravagances. Vous souriez ? Est-ce que vous ne croyez pas à ma conversion ? Il vous faut des preuves ? Écoutez, un beau trait. Aujourd’hui, Famin, l’ami qui m’a invité à dîner, a voulu me vendre son cheval. Cinq mille francs… C’est une bête superbe. Le premier mouvement a été pour avoir le cheval, puis je me suis dit que je n’étais pas assez riche pour mettre cinq mille francs à une fantaisie, et je resterai à pied.

— C’est à merveille, Max ; mais savez-vous ce qu’il faut faire pour continuer sans encombre dans cette bonne voie ? Il faut vous marier.

— Ah ! me marier ?… Pourquoi pas ?… Mais qui voudra de moi ? Moi, qui n’ai pas le droit d’être difficile, je voudrais une femme… Oh ! non, il n’y en a plus qui me conviennent…

Mme de Piennes rougit un peu, et il continua sans s’en apercevoir.

— Une femme qui voudrait de moi… Mais savez-vous, madame, que ce serait presque une raison pour que je ne voulusse pas d’elle ?