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Piennes allait voir à son ordinaire sa protégée Arsène Guillot, qu’elle n’avait point oubliée cependant, ni vous non plus, madame, je l’espère. Après lui avoir fait quelques questions sur sa santé et sur les instructions qu’elle recevait, remarquant que la malade était encore plus oppressée que les jours précédens, elle lui offrit de lui faire la lecture pour qu’elle ne se fatiguât point à parler. La pauvre fille eût sans doute aimé mieux causer qu’écouter une lecture telle que celle qu’on lui proposait, car vous pensez bien qu’il s’agissait d’un livre fort sérieux, et Arsène n’avait jamais lu que des romans de cuisinières. C’était un livre de piété que prit Mme de Piennes, et je ne vous le nommerai pas, d’abord pour ne pas faire tort à son auteur, ensuite parce que vous m’accuseriez peut-être de vouloir tirer quelque méchante conclusion contre ces sortes d’ouvrages en général. Suffit que le livre en question était d’un jeune homme de dix-neuf ans, et spécialement approprié à la réconciliation des pécheresses endurcies, qu’Arsène était très accablée, et qu’elle n’avait pu fermer l’œil la nuit précédente. À la troisième page, il arriva ce qui serait arrivé avec tout autre ouvrage, sérieux ou non ; il advint ce qui était inévitable, je veux dire que Mlle Guillot ferma les yeux et s’endormit. Mme de Piennes s’en aperçut et se félicita de l’effet calmant qu’elle venait de produire. Elle baissa d’abord la voix pour ne pas réveiller la malade en s’arrêtant tout à coup, puis elle posa le livre et se leva doucement pour sortir sur la pointe du pied ; mais la garde avait coutume de descendre chez la portière lorsque Mme de Piennes venait, car ses visites ressemblaient un peu à celles d’un confesseur. Mme de Piennes voulut attendre le retour de la garde, et comme elle était la personne du monde la plus ennemie de l’oisiveté, elle chercha quelque emploi à faire des minutes qu’elle allait passer auprès de la dormeuse. Dans un petit cabinet derrière l’alcôve, il y avait une table avec de l’encre et du papier ; elle s’y assit et se mit à écrire un billet. Tandis qu’elle cherchait un pain à cacheter dans un tiroir de la table, quelqu’un entra brusquement dans la chambre qui réveilla la malade. — Mon Dieu ! qu’est-ce que je vois ? s’écria Arsène d’une voix si altérée que Mme de Piennes en frémit.

— Eh bien ! j’en apprends de belles ! Qu’est-ce que cela veut dire ? Se jeter par la fenêtre comme une imbécile ! A-t-on jamais vu une tête comme celle de cette fille-là ?

Je ne sais si je rapporte exactement les termes, c’est du moins le sens de ce que disait la personne qui venait d’entrer, et qu’à la voix Mme de Piennes reconnut aussitôt pour Max de Salligny. Suivirent