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impossible, même à la pruderie la plus facile à s’alarmer… Tenez, madame, si j’avais un chien malade, et si je savais qu’en me voyant il éprouvât quelque plaisir, je croirais faire une mauvaise action en le laissant crever seul. Il ne se peut pas que vous pensiez autrement, vous qui êtes si bonne et si charitable. Songez-y, madame, de ma part, il y aurait vraiment de la cruauté…

— Tout à l’heure je vous demandais de me faire cette promesse au nom de votre bonne tante,… au nom de l’amitié que vous avez pour moi,… maintenant, c’est au nom de cette malheureuse fille elle-même, que je vous le demande. Si vous l’aimez réellement…

— Ah ! madame, je vous en supplie, ne rapprochez pas ainsi des choses qui ne se peuvent comparer. Croyez-moi bien, madame, je souffre extrêmement à vous résister en quoi que ce soit, mais en vérité je m’y crois obligé d’honneur… Ce mot vous déplaît ? Oubliez-le. Seulement, madame, à mon tour, laissez-moi vous conjurer par pitié pour cette infortunée… et aussi un peu par pitié pour moi… Si j’ai eu des torts… si j’ai contribué à la retenir dans le désordre… je dois maintenant prendre soin d’elle. Il serait affreux de l’abandonner. Je ne me le pardonnerais pas. Non, je ne puis l’abandonner. Vous n’exigerez pas cela, madame…

— D’autres soins ne lui manqueront pas. Mais, répondez-moi, Max : vous l’aimez ?

— Je l’aime… je l’aime… Non… je ne l’aime pas. C’est un mot qui ne peut convenir ici… L’aimer ! hélas, non ! J’ai cherché auprès d’elle une distraction à un sentiment plus sérieux qu’il fallait combattre… Cela vous semble ridicule, incompréhensible ?… La pureté de votre ame ne peut admettre que l’on cherche un pareil remède… Eh bien ! ce n’est pas la plus mauvaise action de ma vie. Si nous autres hommes, nous n’avions pas quelquefois la ressource de détourner nos passions… peut-être maintenant… peut-être serait-ce moi qui me serais jeté par la fenêtre… Mais, je ne sais ce que je dis, et vous ne pouvez m’entendre je me comprends à peine moi-même.

— Je vous demandais si vous l’aimiez, reprit Mme de Piennes les yeux baissés et avec quelque hésitation, parce que si vous aviez de… de l’amitié pour elle, vous auriez sans doute le courage de lui faire un peu de mal pour lui faire ensuite un grand bien. Assurément, le chagrin de ne pas vous voir lui sera pénible à supporter ; mais il serait bien plus grave de la détourner aujourd’hui de la voie dans laquelle