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— J’exige, reprit-elle, que vous ne la voyiez qu’avec moi.

Il fit un geste d’étonnement, mais il se hâta d’ajouter qu’il obéirait.

— Je ne me fie pas absolument à vous, continua-t-elle en souriant. Je crains encore que vous ne gâtiez mon ouvrage, et je veux réussir. Surveillé par moi, vous deviendrez au contraire un aide utile, et, j’en ai l’espoir, votre soumission sera récompensée.

Elle lui tendit la main en disant ces mots. Il fut convenu que Max irait le lendemain voir Arsène Guillot, et que Mme de Piennes le précéderait pour la préparer à cette visite.

Vous comprenez son projet. D’abord elle avait pensé qu’elle trouverait Max plein de repentir, et qu’elle tirerait facilement de l’exemple d’Arsène le texte d’un sermon éloquent contre les mauvaises passions ; mais contre son attente il rejetait toute responsabilité. Il fallait changer d’exorde, et dans un moment décisif retourner une harangue étudiée ; c’est une entreprise presque aussi périlleuse que de prendre un nouvel ordre de bataille au milieu d’une attaque imprévue. Mme de Piennes n’avait pu improviser une manœuvre. Au lieu de sermonner Max, elle avait discuté avec lui une question de convenance. Tout à coup une idée nouvelle s’était présentée à son esprit. Les remords de sa complice le toucheront, avait-elle pensé. La fin chrétienne d’une femme qu’il a aimée (et malheureusement elle ne pouvait douter qu’elle ne fût proche) portera sans doute un coup décisif. C’est sur un tel espoir qu’elle s’était subitement déterminée à permettre que Max revît Arsène. Elle y gagnait encore d’ajourner l’exhortation qu’elle avait projetée ; car, je crois vous l’avoir déjà dit, malgré son vif désir de sauver un homme dont elle déplorait les égaremens, l’idée d’engager avec lui une discussion aussi sérieuse l’effrayait involontairement.

Elle avait beau compter sur la bonté de sa cause, elle doutait encore du succès, et ne pas réussir c’était désespérer du salut de Max, c’était se condamner à changer de sentiment à son égard. Le diable, peut-être, pour éviter qu’elle se mît en garde contre la vive affection qu’elle portait à un ami d’enfance, le diable avait pris soin de justifier cette affection par une espérance chrétienne. Toutes armes sont bonnes au tentateur, et telles pratiques lui sont familières ; voilà pourquoi le Portugais dit fort élégamment : De boâs intençôes esta o inferno cheio. L’enfer est pavé de bonnes intentions. Vous dites en français qu’il est pavé de langues de femmes, et cela revient au même, car les femmes, à mon sens, veulent toujours le bien.

Vous me rappelez à mon récit. Le lendemain donc, Mme de Piennes alla chez sa protégée, qu’elle trouva bien faible, bien abattue, mais