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ARSÈNE GUILLOT.

— J’ai aimé ! murmura-t-elle d’une voix sourde. Elle remuait les doigts et semblait vouloir tendre les mains, Max et Mme de Piennes s’étaient approchés et prirent chacun une de ses mains. — J’ai aimé, répétât-elle avec un triste sourire. Ce furent ses dernières paroles. Max et Mme de Piennes tinrent long-temps ses mains glacées sans oser lever les yeux…


Eh bien ! madame, vous me dites que mon histoire est finie, et vous ne voulez pas en entendre davantage. J’aurais cru que vous seriez curieuse de savoir si M. de Salligny fit ou non le voyage de Grèce, si…, mais il est tard, vous en avez assez. À la bonne heure ! Au moins gardez-vous des jugemens téméraires. Je proteste que je n’ai rien dit qui pût vous y autoriser. Surtout ne doutez pas que mon histoire ne soit vraie. Vous en douteriez ? Allez au Père-Lachaise : à vingt pas à gauche du tombeau du général Foy, vous trouverez une pierre de liais fort simple, entourée de fleurs toujours bien entretenues. Sur la pierre, vous pourrez lire le nom de mon héroïne gravé en gros caractères : ARSÈNE GUILLOT, et, en vous penchant sur cette tombe, vous remarquerez, si la pluie n’y a déjà mis ordre, une ligne tracée au crayon, d’une écriture très fine :

— Pauvre Arsène ! elle prie pour nous. —


Prosper Mérimée.