Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/958

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
954
REVUE DES DEUX MONDES.

— Vous ne vous fatiguerez plus à monter mon escalier, lui dit-elle d’une voix éteinte.

Chaque parole semblait lui coûter un effort pénible et user ce qui lui restait de forces. Il fallait se pencher sur son lit pour l’entendre. Mme de Piennes avait pris sa main, et elle était déjà froide et comme inanimée.

Max arriva bientôt et s’approcha silencieusement du lit de la mourante. Elle lui fit un léger signe de tête, et remarquant qu’il avait à la main un livre dans un étui : — Vous ne lirez pas aujourd’hui, murmura-t-elle faiblement. Mme de Piennes jeta les yeux sur ce livre prétendu ; c’était une carte de la Grèce reliée, qu’il avait achetée en passant.

L’abbé Dubignon, qui depuis le matin était auprès d’Arsène, observant avec quelle rapidité les forces de la malade s’épuisaient, voulut mettre à profit, pour son salut, le peu de momens qui lui restaient encore. Il écarta Max et Mme de Piennes, et, courbé sur ce lit de douleur, il adressa à la pauvre fille les graves et consolantes paroles que la religion réserve pour de pareils momens. Dans un coin de la chambre, Mme de Piennes priait à genoux, et Max, debout près de la fenêtre, semblait transformé en statue.

— Vous pardonnez à tous ceux qui vous ont offensée, ma fille, dit le prêtre d’une voix émue.

— Oui !… qu’ils soient heureux ! répondit la mourante en faisant un effort pour se faire entendre.

— Fiez-vous donc à la miséricorde de Dieu, ma fille ! reprit l’abbé. Le repentir ouvre les portes du ciel.

Pendant quelques minutes encore, l’abbé continua ses exhortations, puis il cessa de parler, incertain s’il n’avait plus qu’un cadavre devant lui. Mme de Piennes se releva doucement, et chacun demeura quelque temps immobile, regardant avec anxiété le visage livide d’Arsène. Ses yeux étaient fermés. Chacun retenait sa respiration comme pour ne pas troubler le terrible sommeil qui peut-être avait commencé pour elle, et l’on entendait distinctement dans la chambre le faible tintement d’une montre placée sur la table de nuit.

— Elle est passée, la pauvre demoiselle ! dit enfin la garde après avoir approché sa tabatière des lèvres d’Arsène ; vous le voyez, le verre n’est pas terni. Elle est morte !

— Pauvre enfant ! s’écria Max sortant de la stupeur où il semblait plongé. Quel bonheur a-t-elle eu dans ce monde !

Tout à coup et comme ranimée à sa voix, Arsène ouvrit les yeux.