Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1030

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout le vocabulaire de la psychologie contemporaine, tous les raffinemens quintessenciés de cette métaphysique des passions, si en honneur dans les cabinets littéraires. Ce ne sont partout que troubles secrets, espérances déçues, rêves indéfinis, orages de la tête et du cœur ! Certes, nul ne conteste à M. de La Rochefoucauld le droit de prendre au sérieux les héroïnes de M. de Balzac ou de M. Sue ; on nous accordera pourtant que c’est dépasser toute bienséance que de venir appliquer à des femmes ayant un rang dans la société, un nom, une famille, les divagations sentimentales ou criminelles de la duchesse de Langeais, de Mme de Nucingen et de la comtesse Mac-Grégor. Imagine-t-on, par exemple, des interpellations du genre de celle-ci : « Pauvre femme ! je comprends les souffrances de votre cœur et le vague de votre esprit. Si jeune encore, être condamnée par le sophisme à traverser la vie sans but comme sans espérance ! est-il quelque chose de plus triste au monde ? Aussi, rien n’est pour vous bonheur, plaisir, émotion, car votre âme souffre, et, malgré l’audace de vos pensées, elle respire mal à l’aise dans l’atmosphère étroite à laquelle vous la réduisez ; cette atmosphère rétrécit pour vous jusqu’à la vie commune, et vous prive des consolations de ce monde comme de celles de l’autre. Ainsi, soumise à vos devoirs, vous les remplissez avec la plus scrupuleuse fidélité, mais ils n’ont rien qui vous attache, et le cri de votre enfant lui-même ne vous fait pas palpiter de crainte et d’amour ; vous êtes mère sans épanchemens, vous êtes épouse sans abandon. » Et cette personne qu’il a si profondément analysée, cette femme qu’il est allé surprendre en ses derniers retranchemens d’épouse et de mère, chose admirable ! l’auteur de cet incroyable portrait ne la connaît pas, il avoue lui-même l’avoir à peine entrevue. Aimable confidence, dont la simplicité désarme !

En écrivain évidemment imbu du sentiment pittoresque, M. de La Rochefoucauld a toujours soin de donner à ses portraits la mise en scène la plus avantageuse, et la même main qui vient d’effeuiller toutes les roses d’un paysage de Watteau aux pieds des Mlles de K..., agréablement désignées sous le titre des trois Grâces, saura, dans l’occasion, évoquer l’abîme et la tempête. En effet, où placer ailleurs qu’en un site aride et solitaire une âme aussi cruellement ravagée que celle d’Eulalie, marquise de *** ? S’il y a des noms qui respirent l’aubépine et les acacias en fleur, il en est d’autres d’où s’exhale nécessairement comme une influence de langueur et de mort. On se figure Emma sous un ciel bleu, Elvire au clair de lune, Camille en amazone. Lise ou Babet en laitières de Trianon ; mais Eulalie, quel sombre et lugubre