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Dans la lingerie, on les emploie quatorze, quinze, et jusqu’à seize heures par jour.... Est-il juste de soumettre à des restrictions aussi sévères les manufactures de coton, pendant qu’on ne touche pas aux ateliers dans lesquels les femmes de tout âge sont employées aussi long-temps ? Que si nous étendons jusque-là le domaine de la loi, alors l’injustice cesse ; mais nous adoptons un principe qui conduit à une intervention constante et universelle dans toutes les branches du travail. Il faut désormais entrer dans l’atelier et dans la maison ; il faut établir un système d’inquisition domestique et de tyrannie, préparer une armée d’inspecteurs et de sous-inspecteurs. C’est là une tâche au-dessus des forces de l’homme, et, en supposant que l’on parvînt à l’accomplir, le système deviendrait bientôt si odieux, que le peuple se lèverait en masse pour le renverser[1]. »

Ce raisonnement est sans réplique. Si l’on veut limiter l’intervention de l’état aux manufactures de coton, de laine, de fil et de soie, on commet une insigne injustice ; si on l’étend à toutes les branches de l’industrie, on se propose l’impossible. Pour venir au secours des misères ou pour corriger les excès du travail, la philanthropie doit donc chercher d’autres moyens que l’action tantôt incertaine et tantôt tyrannique de la loi.

Par une contradiction bien étrange, le même lord Ashley qui s’adresse au parlement pour réduire la durée du travail dans les manufactures, voulant obvier au même mal dans les ateliers de modes et de lingerie de la capitale, n’a fait appel qu’à l’esprit d’association. De concert avec lord Dudley Stuart, il a fondé à Londres une société qui a pour objet de déterminer les chefs des principaux établissemens à ne pas prolonger la journée au-delà de douze heures par jour, et les dames de l’aristocratie à donner un intervalle suffisant pour l’exécution de leurs commandes. Si l’on en juge par le commencement de succès qu’obtient une autre association de la même nature, fondée par les marchands drapiers, cette entreprise charitable n’avortera pas. Cependant, pourquoi ne pas appliquer aussi aux manufactures de coton ou de laine les procédés que l’on réserve pour les ateliers métropolitains ? S’il est réellement dans l’intérêt bien entendu des fabricans ainsi que des ouvriers de retrancher de la journée les heures qui produisent la fatigue et qui sont par conséquent plus ou moins stériles, pourquoi ne pas se borner à leur ouvrir les yeux ? pourquoi ne pas laisser à leur conviction éclairée le soin de faire ce que la loi exigerait en vain ?

  1. Sir Robert Peel’s Speeches, passim, 18 march, 3 may.