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le roi et le prince royal espéraient encore remédier par des moyens de temporisation à ce fatal état de choses ; ils se maintenaient l’un et l’autre dans des idées de conciliation autant par un sentiment de vieille amitié que par une réflexion de prudente politique. La France était si chère à ce vieux roi qui avait adopté toutes les prédilections de Gustave III, si chère à ce prince royal qui venait de la quitter, et Napoléon semblait si fort ! Un événement inattendu, décisif, les jeta tout à coup hors des bornes où ils espéraient pouvoir s’assurer une position paisible. Le 10 février 1812, on apprit à Stockholm que, dans la nuit du 26 au 27 janvier, une troupe de vingt mille hommes, commandée par le général Friand, avait envahi le territoire de la Poméranie suédoise et l’île de Rugen. À cette nouvelle, qui produisit une violente rumeur en Suède, le roi envoya aussitôt le général Engelbrecht à Stralsund pour demander des explications sur un fait si inopiné. Le comte Friand déclara qu’il ne pouvait répondre à la lettre qui lui fut remise. En même temps le prince d’Eckmuhl, qui commandait la division, faisait conduire dans les prisons de Hambourg les fonctionnaires suédois de la province dont des troupes venaient de s’emparer, et les remplaçait par des fonctionnaires français. Charles-Jean voulut encore une fois s’adresser directement à l’empereur, et il lui écrivit cette lettre :

« Sire, les rapports qui viennent d’arriver portent qu’une division de l’armée aux ordres du prince d’Eckmuhl a envahi le territoire de la Poméranie suédoise dans la nuit du 26 au 27 janvier. Cette division a poursuivi sa marche, est entrée dans la capitale du duché, et s’est emparée de l’île de Rugen.

« Le roi attend que votre majesté fasse connaître les causes qui ont pu la porter à agir d’une manière aussi diamétralement opposée aux traités existans. Mes anciens rapports avec votre majesté m’autorisent à la supplier de ne pas tarder à faire connaître ses motifs, pour que je puisse donner au roi mon opinion sur l’adoption de la politique que la Suède doit embrasser désormais.

« L’outrage fait gratuitement à la Suède est vivement senti par le peuple et doublement par moi, sire, qui suis chargé de l’honneur de le défendre. Si j’ai contribué à rendre la France triomphante, si j’ai constamment souhaité de la voir heureuse et respectée, il n’a jamais pu entrer dans ma pensée de sacrifier les intérêts, l’honneur et l’indépendance du pays qui m’a adopté. Votre majesté, si bon juge dans le cas qui vient d’avoir lieu, a déjà pénétré ma résolution. Peu jaloux de la gloire et de la puissance qui vous environnent, sire, je le suis beaucoup de ne pas être regardé comme vassal.