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notre unique rivale, et notre rivale jusqu’ici heureuse. Entre elle et nous se perpétuent des motifs de collision qui n’existent pas vis-à-vis d’autres puissances, par exemple, deux siècles d’inimitié, les querelles de voisinage, la fréquentation des mêmes mers, une concurrence politique, industrielle et militaire.

Est-ce à dire qu’il faille nourrir les esprits de la pensée d’une rupture et les provoquer à des démonstrations intempestives ? Non, sans doute. La paix est le premier des biens, et il n’y a rien au-dessus d’elle, si ce n’est l’honneur. Tant que la position de la France sur les mers sera suffisamment digne, il n’y aura pas lieu de recourir à l’emploi de la force, et il est à désirer que des concessions réciproques maintiennent long-temps cet équilibre ; mais il peut se présenter une circonstance où notre pays n’aurait plus à consulter que son courage, et dès-lors il ne doit pas s’exposer à être pris au dépourvu. On l’a dit : une nation qui tient à la paix est toujours en mesure de prouver qu’elle ne craint pas la guerre ; on la respecte d’autant plus qu’on la sait mieux en mesure de répondre à une agression, sans que rien puisse ni l’intimider ni la surprendre. Les soins vigilans de la défense ne seraient pas un devoir d’état qu’ils seraient encore un bon calcul, et certainement le meilleur pour conjurer les chances des batailles.

Vis-à-vis de l’Angleterre, cette attitude forte est plus nécessaire qu’envers toute autre puissance. Le peuple anglais n’a jamais connu ni les misères ni les hontes de l’invasion ; son sol est vierge de toute occupation militaire. Aussi le caractère national a-t-il puisé dans ce fait une confiance qui, envers les étrangers, prend tous les dehors de l’orgueil et de la domination. C’est contre les écarts de ce sentiment qu’il faut avoir une arme et une arme sûre. Toute paix ne sera durable qu’à ce prix. Dans ce sens, l’auteur de la Note demeure fidèle à la politique actuelle, et la sert au fond, quoi qu’on en ait dit. Si vague qu’en soit encore l’emploi, l’Angleterre pressent que sa position insulaire sera un jour menacée par la vapeur, et qu’elle rendra tôt ou tard les mêmes services qu’un pont jeté entre des rivages que la mer sépare. Un pays exposé à une invasion cesse dès-lors d’être aussi fier de son inviolabilité ; il lui faut une armée de terre pour se défendre ; il est astreint à une double dépense et à un double effort. Plus vulnérable, il devient moins accessible aux inspirations de l’orgueil et de l’intérêt, il ne force pas son ennemi jusque dans son honneur, il redoute des représailles qui l’atteindraient jusque dans son existence.

Vainement chercherait-on ailleurs un moyen plus efficace de tenir en respect l’Angleterre et d’échapper à la fausse situation où nous laisse vis-à-vis d’elle notre infériorité maritime. Les bâtimens à voiles ont eu deux siècles pour épuiser la preuve de leur vertu et des services que l’on peut en attendre ; ces services sont réels, mais on en connaît la limite. Les bâtimens à vapeur ne datent que d’hier, et personne ne pourrait dire jusqu’où ira leur mystérieuse puissance[1]. Tout conseille donc de porter de ce côté l’effort

  1. De l’avis de nos plus illustres marins, la vapeur a rendu seule possibles l’attaque et la reddition de Saint-Jean-d’Acre en 1840. Sans le secours qu’elle apporta à l’escadre anglaise, celle-ci n’aurait pu prendre position et se mettre à portée des remparts de la place.