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fait partie intégrante, essentielle, inévitable. Le bon sens public ne s’y est jamais trompé. L’attaque a été ardente, la défense n’a pas été moins vive ; mais jusqu’à présent les champions des jésuites n’ont eu recours qu’à des argumens rebattus. Les apologies se multiplient tous les jours, sans nouveauté dans le fond et sans originalité dans la forme ; elles ne sont pour la plupart que des réimpressions ou des redites. Rien n’arrêterait les regards sur ces publications ternes et communes, si un petit écrit de quelques pages ne s’en distinguait avec beaucoup de dignité et de grâce. Dans les intervalles des clameurs discordantes poussées par la haine des partis, on a recueilli avidement l’accent d’une conscience désintéressée et d’une bienveillance sereine. Les esprits ou plutôt les cœurs ont été touchés d’une candeur inaltérable qui, à son insu, s’étend sur les objets et les transforme en les voilant. On serait heureux de s’associer à ces douces impressions, si, pour être convaincu, il suffisait de se sentir charmé.

Quoi qu’il en soit, il n’est plus au pouvoir de personne de rajeunir une discussion épuisée. Pascal a tout dit, et l’on n’a plus rien à lui répondre. Des deux côtés, on est à bout de raisonnement et de dialectique. Il n’en est pas ainsi des faits, qui sont loin d’être tous éclaircis. La controverse pour ou contre les jésuites n’est plus possible ; mais leur histoire n’est pas encore écrite, et sous ce rapport beaucoup reste à dire. La suppression de l’ordre par le saint-siége a surtout été présentée sous les plus fausses couleurs. C’est une lacune véritable dans les annales du XVIIIe siècle ; il serait utile d’y suppléer. Nous l’essaierons avec d’autant plus de confiance, que nous pouvons appuyer un récit impartial sur des documens authentiques. Ce n’est pas nous que l’on va entendre, ce sont les acteurs mêmes du drame : Pombal et Choiseul, Clément XIII et Clément XIV, le père Ricci et le cardinal de Bernis, Charles III et Louis XV, puis (nous le disons à regret), à côté de ces souverains et de ces ministres, une femme, une favorite, la marquise de Pompadour.

Avant d’entrer dans l’examen détaillé de cette révolution singulière, il faut protester contre une erreur généralement répandue, mais répandue à dessein. Tous les partis vaincus cherchent au dehors les causes d’une défaite dont ils trouveraient le principe en eux-mêmes. Les panégyristes de la société nous la montrent succombant à une conspiration préparée avec art, amenée de très loin, rendue inévitable par des machinations très compliquées. À les en croire, les rois, les ministres, les philosophes, se sont ligués contre elle, ou, ce qui est la même chose à ses yeux, contre la religion. Ce point de vue est faux :