Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

pour renverser le jésuitisme, il n’y a eu dans l’origine ni préméditation, ni plan, ni concert. Sans doute beaucoup d’intérêts divers s’étaient depuis long-temps réunis contre les jésuites, qui avaient provoqué de vives inimitiés ; mais ce qui les a perdus, ce n’est ni la philosophie ni la politique : c’est tout simplement le hasard. Le signal de leur chute n’est parti ni de Ferney ni de Versailles. Malgré les souvenirs de la bulle Unigenitus, personne en France n’avait songé à la destruction de la société ; seuls intéressés à la proscrire, les jansénistes avaient trop d’ennemis pour ne rencontrer que des auxiliaires. Presque également éloignés des deux partis, les philosophes ne souhaitaient pas la destruction de l’institut, parce qu’ils voulaient encore moins le triomphe du parlement de Paris et la résurrection de Port-Royal. Il n’y eut donc pas en France, quoiqu’on ait soutenu plus tard le contraire, un parti pris d’avance contre les jésuites, il n’y eut point de conspiration ministérielle ; le duc de Choiseul ne leur suscita point d’ennemis dans le midi de l’Europe ; il ne chercha point de prête-nom pour un complot dont il ne fut point l’instigateur. Ce n’est, je le répète, ni la France, ni ses écrivains, ni ses hommes d’état, qui eurent le tort ou l’honneur de proscrire le jésuitisme. La philosophie elle-même ne peut en être que très indirectement accusée. Il y a plus, cet événement s’accomplit en dehors de son influence. Les hommes qui les premiers attaquèrent les jésuites n’étaient point les adeptes de la philosophie française ; ses maximes leur étaient étrangères ; des causes toutes locales, toutes particulières, toutes personnelles, atteignirent la société dans son pouvoir, si long-temps incontesté ; et, pour comble d’étonnement, ce corps si vaste, dont les bras s’étendaient, comme on l’a dit souvent, jusqu’à des régions naguère inexplorées, cette colonie universelle de Rome, si redoutable à tous, parfois même à sa métropole, cette société de Jésus enfin, si brillante, si solide en apparence, reçut sa première blessure, non de quelque grande puissance, non sur un des principaux théâtres de l’Europe, mais à l’une de ses extrémités, dans une de ses monarchies les plus isolées et les plus affaiblies.

I.

C’est du Portugal que partit le coup. Est-ce de là qu’on devait l’attendre ? Non, si on pense à la puissance de l’ordre, qui, dans ce pays, dominait tout, le monarque et le peuple, le trône et l’autel. Oui, si