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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

long-temps attendre. La ruine des jésuites de France devint inévitable. Une intrigue de cour l’avait préparée, un scandale public l’acheva.

Il est très vrai qu’après avoir tenté une négociation auprès des jésuites, Mme de Pompadour ne put s’entendre avec eux et résolut leur perte. Ici, le témoignage de la favorite est trop précieux, il est rédigé en termes trop singuliers, il peint trop bien l’époque où il fut rendu, pour qu’une simple transcription ne soit pas infiniment préférable à tous les commentaires. Il faut écouter Mme de Pompadour. Ce sont des instructions données par elle-même à un agent secret envoyé à Rome.

« Au commencement de 1752, déterminée (par des motifs dont il est inutile de rendre compte) à ne conserver pour le roi que les sentimens de la reconnaissance et de l’attachement le plus pur, je le déclarai à sa majesté en la suppliant de faire consulter des docteurs de Sorbonne, et d’écrire à son confesseur, pour qu’il en consultât d’autres, afin de trouver des moyens de me laisser auprès de sa personne (puisqu’il le désirait) sans être exposée au soupçon d’une faiblesse que je n’avais plus. Le roi, connaissant mon caractère, sentit qu’il n’y avait pas de retour à espérer de ma part, et se prêta à ce que je désirais. Il fit consulter des docteurs, et écrivit au père Perusseau, lequel lui demanda une séparation totale : le roi lui répondit qu’il n’était nullement dans le cas d’y consentir, que ce n’était pas pour lui qu’il désirait un arrangement qui ne laissât point de soupçon au public, mais pour ma propre satisfaction ; que j’étais nécessaire au bonheur de sa vie, au bien de ses affaires ; que j’étais la seule qui lui osât dire la vérité, si utile aux rois, etc. Le bon père espéra dans ce moment qu’il se rendrait maître de l’esprit du roi, et répéta toujours la même chose. Les docteurs firent des réponses sur lesquelles il aurait été possible de s’arranger, si les jésuites y avaient consenti. Je parlai dans ce temps à des personnes qui désiraient le bien du roi et de la religion, je les assurai que, si le père Perusseau n’enchaînait pas le roi par les sacremens, il se livrerait à une façon de vivre dont tout le monde serait fâché. Je ne persuadai pas, et l’on vit en peu de temps que je ne m’étais pas trompée. Les choses en restèrent donc (en apparence) comme par le passé jusqu’en 1755. Puis, de longues réflexions sur les malheurs qui m’avaient poursuivie même dans la plus grande fortune, la certitude de n’être jamais heureuse par les biens du monde, puisque aucuns ne m’avaient manqué et que je n’avais pu parvenir au bonheur, le détachement des choses qui m’amusaient le plus, tout me porta à croire que le seul bonheur était en Dieu. Je m’adressai au père de Sacy, comme à l’homme le plus pénétré de cette vérité, je lui montrai mon âme toute nue, il m’éprouva en secret depuis le mois de septembre jusqu’à la fin de janvier 1756. Il me proposa dans ce temps d’écrire une lettre à mon mari, dont j’ai le brouillon qu’il écrivit lui-même. Mon mari refusa de me jamais voir. Le père me fit demander une place chez la reine pour plus de décence, il fit chan-