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LES ESSAYISTS ANGLAIS.

une sorte de férocité, à montrer des dons si précieux, un indomptable courage, l’énergie de l’amour, la hauteur de l’imagination non-seulement alliés au crime, mais engendrant le malheur, tandis qu’il semble vouloir nous faire fuir et mépriser les dons modestes qui peuvent seuls apporter le bonheur et la paix.

Du vivant de Byron, la critique, après avoir proclamé son génie, ne pouvait point ne pas lui opposer ces objections ; c’était son devoir. Cependant ces objections où tendent-elles, sinon à effacer l’originalité même qui fait de Byron une des plus grandioses et des plus, saisissantes figures de la poésie ? L’explication de l’œuvre de Byron ne peut se passer de l’étude de son ame et du commentaire de sa vie ; c’est pour lui surtout que je regrette de ne pas rencontrer chez M. Jeffrey une appréciation générale prise à ce point d’intersection unique demandé par la perspective critique, d’où l’on saisit l’unité harmonieuse et la signification réelle de l’œuvre d’un poète. Le critique de la Revue d’Édimbourg, qui avait parfaitement raison de proposer le style de Byron pour enseignement aux poètes affectés, aux puérils et emphatiques maniéristes de son époque, se trompait évidemment lorsqu’il indiquait à Byron, comme un modèle à suivre, la variété qui anime les inventions de Walter Scott, et la moralité consolante qui y règne. Est-il des natures poétiques plus différentes que celles du baronnet d’Abbotsford et de l’auteur de Childe-Harold ? Il y a des poètes, ce sont d’ailleurs les privilégiés du génie, et Walter Scott était de cette famille, qui semblent planer sur la vie et s’en emparer par l’observation, qui ont étudié d’un œil curieux toutes les nuances des caractères humains, qui, depuis la joie jusqu’à la douleur, ont retenu toutes les notes de la gamme des sentimens, et les rappellent et les réunissent avec une merveilleuse habileté dans des combinaisons où leur cœur n’est pas néanmoins directement intéressé, où il n’est amené que par les jeux de leur imagination, les calculs de leur raison et les évocations de leur mémoire. Le poète qui ricane avec Méphistophélès s’est-il tué bien sincèrement par désespoir d’amour avec Werther ? Celui qui souffle à Falstaff ses joyeuses bouffonneries, ou dont l’insouciante fantaisie entrelace les arabesques du Songe d’une Nuit d’été, s’est-il, comme Lear, abreuvé jusqu’au délire du fiel de l’ingratitude filiale, ou, après des déchiremens horribles, a-t-il succombé avec Hamlet sous le poids d’un affreux devoir ? Mais il est d’autres poètes, qui s’enferment dans leurs propres émotions, qui n’écoutent pour les répéter aussitôt que les frémissemens mélodieux que la douleur ou la joie imprime aux fibres de leur cœur. Ils chan-