modernes du Christ pour ne pas examiner trop curieusement la partie mystique ou métaphysique de cette composition. Le sujet est donné par ce verset de saint Marc : « il retourna ensuite vers ses disciples et les trouva endormis. » Il est probable qu’en rêvant à ce thème touchant, une foule d’idées ont traversé la tête du peintre, et rien n’empêche d’admettre qu’elles étaient extrêmement ingénieuses. Il a dû profondément méditer sur le sens moral et religieux du récit évangélique, et la sublimité de la pensée et des sentimens qu’il n’aura pas manqué d’y découvrir a été peut-être le motif déterminant du choix du sujet et le point de mire idéal dont il s’est le plus préoccupé dans l’exécution. On ne saurait assurément blâmer ces préoccupations qui témoignent d’une nature d’esprit élevée. On peut remarquer toutefois que tout ce travail d’intelligence, auquel un artiste est si porté à se complaire et à attacher une extrême importance, ne passe pas d’ordinaire de sa tête sur sa toile. Pendant que sa pensée erre dans les régions célestes, son œil et sa main, qui ne peuvent atteindre si haut, s’occupent d’une besogne moins sublime, mais indispensable, l’exécution du tableau. Ceci veut dire qu’il ne faut pas chercher des mystères dans ce tableau de M. Chasseriau ; il faut y voir seulement ce que l’art y montre et y pouvait montrer aux yeux, c’est-à-dire un homme qui marche et s’approche de trois autres hommes couchés et endormis. Nous ne prétendons pas que la peinture de cette scène ne soit soumise à quelques conditions particulières, résultant de cette circonstance que l’homme qui marche est Jésus et les hommes endormis des apôtres ; mais nous disons que la partie purement matérielle du fait est le motif essentiel de la représentation pittoresque, celui qui domine tous les autres et se subordonne toutes les idées, morales ou autres, que l’artiste a voulu ou pu vouloir exprimer. Ce n’est pas là rabaisser le but de la peinture, c’est seulement indiquer ses véritables limites et ses conditions fondamentales. Nous n’avons pas, heureusement, le temps d’expliquer ce point d’esthétique qui pourra paraître hétérodoxe, particulièrement aux artistes qui croient que pour faire du beau et du grand il faut avoir un monde d’idées dans la tête, et qui s’imaginent de bonne foi être capables de mettre sur une toile des subtilités psychologiques, des nuances morales que l’esprit seul peut saisir et que la parole peut à peine rendre. Ces remarques ne s’adressent pas spécialement à la peinture de M. Chasseriau, qui en est le prétexte plutôt que l’objet. Nous aimons à reconnaître même que sa composition, jugée, à tort ou à raison, du point de vue que nous venons d’indiquer, offre des parties fort louables.
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