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DE LA PHILOSOPHIE DU CLERGÉ.

sérieux de ces trois idées ne laissera aucun doute sur leur origine lamennaisienne et sceptique, et nous fera toucher au doigt les vrais sentimens du clergé sur l’autorité de la raison et les limites de la philosophie.

Pour établir premièrement l’impuissance de la raison en matière religieuse, M. l’archevêque de Paris s’appuie sur ce principe, qu’une intelligence finie ne peut connaître l’infini. Il est nécessaire de bien s’entendre sur le sens précis et la juste portée de ce principe si cher aux sensualistes, et dont les pyrrhoniens ont tant abusé. Si l’on veut dire que l’intelligence humaine ne peut comprendre Dieu, en donnant au mot comprendre son sens le plus strict et le plus rigoureux, comme marquant une conception complète, absolue, égale à son objet, alors le principe est incontestable, et je ne connais aucun philosophe qui ne l’ait expressément déclaré. Pour ne citer qu’un seul exemple, mais décisif, je demanderai s’il y a un penseur plus hardi, plus téméraire, plus pénétré, et pour ainsi dire plus enivré de la puissance de la raison que Spinoza. Eh bien ! cet audacieux génie qui écrivait à la fin du premier livre de l’Éthique : J’ai expliqué la nature de Dieu, convient hautement qu’il y a dans cette nature absolument infinie une infinité d’attributs et de modes dont nous n’avons pas la moindre idée. Si donc M. l’archevêque de Paris ne veut pas dire autre chose, son principe est incontestable assurément, mais en même temps inutile. Comment ce principe prouverait-il quelque chose contre la possibilité d’une théologie rationnelle, étant formellement adopté par tous ceux qui l’ont entreprise ? C’est se moquer en vérité que de prêter à la philosophie, qui se définit elle-même la raison développée, l’extravagant dessein de s’affranchir des limites de la raison. La philosophie ne s’arroge pas le droit de percer tous les mystères, de sonder toutes les profondeurs de la nature divine : la révélation même ne promet pas cela et ne peut pas le promettre ; mais la philosophie réclame hautement, et a su, depuis bien des siècles, faire reconnaître aux hommes le droit qu’elle emprunte à la raison de s’élever au-delà du monde visible, et d’embrasser dans son horizon le principe éternel de l’existence et la nature de Dieu même, de méditer sans cesse cette nature infinie pour apprendre aux hommes à la connaître et à l’adorer toujours davantage ; elle réclame le droit de donner à la justice humaine une règle invariable, au droit méconnu un vengeur, à l’artiste un idéal, à toutes les sciences une suprême unité, le droit de montrer au physicien qui l’oublie la main qui donna le branle à l’univers, à l’astronome absorbé par le calcul des mouvemens célestes, l’éternel géomètre qui, par une