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DE LA PHILOSOPHIE DU CLERGÉ.

fondement, quelle serait la conséquence ? C’est évidemment que tous les grands systèmes de philosophie ne sont que des formes diverses du panthéisme, par conséquent que Pythagore et Socrate, Platon et Aristote, Bacon et Descartes, Locke et Leibnitz sont des panthéistes. Admirons la critique profonde des adversaires du panthéisme et leur incomparable habileté. Voilà les coups qu’ils portent à l’erreur, voilà les services qu’ils rendent à la religion. Ils ont peur apparemment que le prestige du génie de Spinoza et de Hegel ne suffise point à séduire les ames ; ils mettent le panthéisme sous le patronage des noms les plus vénérés et les plus glorieux. Il n’y a pas un sage, il n’y a pas un homme de génie qu’ils n’appellent à son secours, et ils lui font un invincible rempart de tout ce que la philosophie a produit de plus grand, de tout ce que le genre humain respecte le plus.

Et admirez aussi la logique des écrivains du clergé. Que nous disions après Hegel que Malebranche c’est Spinoza chrétien ; que nous répétions ce mot de Leibnitz : que Spinoza a cultivé certaines semences de la philosophie de Descartes, on se récrie, on s’emporte, on nous accuse de faire trop d’honneur à Spinoza en le regardant comme un fils légitime, quoique égaré, de la grande famille cartésienne ; et voici que ces adversaires ardens du spinozisme lui donnent, non plus seulement Malebranche pour complice, mais Leibnitz, mais Bacon, mais Descartes lui-même.

Il paraîtra impossible à plusieurs que des théologiens, des prêtres, des docteurs de Sorbonne, se soient jetés dans cet excès. Qu’on lise les ouvrages de M. Bautain et de ses disciples ; qu’on ouvre par exemple un livre composé sous les yeux du théologien de Strasbourg par un de ses disciples fidèles, M. l’abbé Isidore Goschler, on y verra les fruits de cette méthode pessimiste et désespérée, aujourd’hui dominante dans le clergé, et qui consiste à retrouver partout l’erreur présente et à y condamner pour toujours l’esprit humain. M. l’abbé Goschler a imaginé un procédé infaillible pour répandre le panthéisme à pleines mains dans l’histoire de la philosophie, en dépit de toute critique et de toute vérité. C’est de distinguer autant d’espèces de panthéisme qu’il y a de systèmes philosophiques : à l’aide de cet étrange procédé, nous voyons arriver tour à tour le panthéisme physique, le panthéisme imaginatif, le panthéisme rationnel, le panthéisme intellectuel et d’autres panthéismes encore. Spinoza est à côté d’Aristote, et Platon tient sa place à côté d’Akiba et des kabbalistes. Voilà l’histoire de la philosophie à l’usage de l’école de Strasbourg, mère déplorable de cette grande distinction du rationalisme et de la