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REVUE. — CHRONIQUE.

de ces jurys. Toujours les choix parlementaires, surtout ceux de la chambre des représentans, avaient été politiques et d’une partialité évidente. Il n’y avait de remède, de contrepoids possible que la partialité opposée du gouvernement. M. Nothomb crut qu’il y avait là pour l’état une occasion favorable d’intervenir et d’essayer de reprendre quelque autorité. Il arriva devant les chambres armé de preuves, de documens de toutes sortes ; il mit dans une irrésistible évidence les abus de la pratique, et il demanda que la nomination des jurys d’examen fût désormais laissée au pouvoir royal. La prétention n’était pas exorbitante ; cependant elle fut repoussée par le parti catholique, qui se montra intraitable, et le cabinet intimidé recula. On vit M. Nothomb voter d’abord pour sa loi, qu’il avait peu à peu abandonnée dans le débat, et voter ensuite pour le contre-projet qui ruinait sa loi. Cela s’est aussi fait quelquefois ailleurs ; voilà encore un cas de contrefaçon.

Ainsi, en Belgique, l’état est et reste impuissant : le parti libéral a plutôt le verbe haut que la main longue, et parfois il a besoin de cacher par le bruit sa faiblesse. L’église a la force, elle étend sa domination, et cependant elle n’est pas satisfaite. À ses yeux, ses progrès sont trop lents, elle estime qu’elle rencontre encore trop d’entraves et de limites ; ce n’est plus la liberté qu’elle veut, c’est l’empire, l’empire absolu. La liberté n’est à ses yeux qu’une transition, elle n’est pas un dénouement définitif dont elle puisse se contenter, un but qui soit à la hauteur de son ambition. Le clergé belge s’estime plus avancé dans son œuvre que le clergé français. L’épiscopat français en est encore à travailler à la ruine de l’Université ; l’épiscopat en Belgique s’occupe d’établir sur d’inébranlables fondemens une université qui relève de l’église, s’identifie avec elle, et soit l’unique institutrice des populations.

En exposant ces faits, nous n’apprendrons rien à M. le comte de Montalembert, il les connaît aussi bien et mieux que nous. Gendre d’un des chefs les plus considérables du parti catholique belge, il ne saurait ignorer où en est aujourd’hui la question chez nos voisins ; mais il a sans doute jugé inutile de nous montrer l’église belge laissant derrière elle la liberté pour marcher ouvertement à l’empire, et, sans entrer dans les détails, il a dit à la tribune de la chambre des pairs que lui et ses amis désiraient la liberté comme en Belgique : il a préféré prendre les choses au premier acte plutôt qu’au second. Mais ne vaudrait-il pas mieux, pour plus de clarté et de franchise, adopter cette variante : nous demandons le monopole et le privilége comme en Belgique ?

Au surplus, il faut reconnaître que M. de Montalembert est parfaitement sincère, quand il confond dans son esprit la liberté et la domination de l’église. C’est pour lui la même chose. À ses yeux, l’église n’est libre que lorsqu’elle peut tout envahir et tout dominer. En empruntant cette manière de voir aux papes du moyen-âge, en l’adoptant pour règle de conduite dans les affaires de notre siècle, M. de Montalembert a pris une position tout-à-fait exceptionnelle. S’il a voulu appeler sur lui l’attention, il y a réussi, et,