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Névius, dans la verve folle de Plaute, comme plus tard dans les causeries enjouées des satires d’Horace, et même dans la vigueur un peu raide de Juvénal, quelque chose de vraiment personnel, une originalité, une saveur à part se rencontrent. La vieille et fruste tradition de l’ironie romaine, la moquerie crue et bouffonne, se perpétuent et se préservent au milieu des raffinemens du goût aussi bien que dans les barbaries de la décadence ; toujours la trace s’en retrouvera depuis les boutades informes des chants fescennins jusqu’au trivial cynisme des mimes. Là encore, particulièrement dans la comédie de Térence, Rome peut bien s’inspirer des importations littéraires de la Grèce ; mais cette fois du moins le larcin est une véritable conquête. Ce n’est point une bouture, c’est une greffe entée sur un tronc indigène, sur une tige vivace et sauvage.

La culture latine, avec sa valeur native, avec sa sève propre, est donc surtout dans la comédie et dans la satire. Satire et comédie, c’est à dessein que je rapproche, sans les confondre, deux genres que les rhéteurs ont pu séparer rigoureusement, qui s’éloignent même souvent l’un de l’autre, mais qui ne cessent jamais d’avoir quelque parenté, car l’intervention de l’élément critique dans l’art est leur condition à toutes deux, car toutes deux elles ont pour objet la peinture de la vie, car enfin l’action intervient toujours un peu dans la satire, au même titre que l’ironie intervient dans toute fable comique. La différence, c’est que la comédie abstrait ces caractères et ces passions qu’attaque la liberté discursive de la satire, les individualise en des types imaginaires, et les met enjeu dans des événemens. Ce voisinage de la satire et de la comédie fait qu’elles sont d’ordinaire compagnes : Lucile est le contemporain de Térence, Boileau est celui de Molière.

En Grèce pourtant, il n’en fut pas ainsi : ce n’est point que sur quelques témoignages diversement explicables[1], je croie la satire native de Rome et que je la regarde comme de source exclusivement latine. A Dieu ne plaise ! Il n’y a que l’inventive naïveté d’un érudit en loisir pour aller imaginer que la Grèce avait tout trouvé dans les lettres, excepté ce qu’il était précisément le plus facile de trouver, la satire. Que faut-il, en effet, pour cela ? d’un côté, un poète en bonne humeur ou en colère, de l’autre, quelque ridicule à fustiger, quelque vice à flétrir, une offense à châtier. Certes, ce sont là des conditions assez faciles. Supposez seulement que la verve vienne à notre poète et qu’il prenne la plume, vous avez aussitôt une satire. Il ne pouvait manquer d’en être ainsi en Grèce, et c’est ce qui arriva tout d’abord.

  1. Cette question semblait épuisée depuis long-temps par les minutieux travaux de Dacier, de Vulpi, de Kœnig, de Ruperti, et de dix autres, entre lesquels le traité de Casaubon (surtout dans la réimpression de Rambach) restait une source souvent invoquée ; mais l’érudition allemande, en ces derniers temps, est revenue curieusement sur les obscurs commencemens de la satire latine : on peut consulter, avec fruit, la dissertation de M. Schober, De Satirœ initiis, Neisse, 1835, in-4o, et celle plus approfondie de M. Frédéric Hermann, De Satirœ Romanœ auctore, Marbourg, 1841, in-4o.