Personne ne conteste l’originalité de la satire des Romains ; à mon sens, on ne saurait non plus nier avec avantage l’originalité de leur comédie, surtout dans l’auteur des Ménechmes. Chez ce dernier, l’étiquette souvent peut être grecque : toutefois ne vous fiez pas trop à la modestie affectée des prologues. Plaute, je le soupçonne, s’y donne souvent comme un simple traducteur, alors même qu’il invente presque tout. Par-là, la manie des grécisans se trouvait caressée ; argumentum græcissat[1]. En effet, à quoi Plaute vise-t-il avant tout ? À des applaudissemens. Rien ne lui coûtera, pourvu qu’il les obtienne. Qu’il faille pour cela accabler d’injures ses propres compatriotes, les Ombriens, et les traiter, par exemple, de pituiteux et de roupieux[2], le poète n’hésitera pas ; il est prêt à tous les sacrifices. Et même, comme le théâtre à Rome était commun pour les sénateurs et pour les esclaves, les concessions les plus contradictoires se succèdent de sa part ; les élégances d’une civilisation empruntée sont mêlées par lui à la crudité indigène. Le voilà tour à tour qui cite quelque beau nom de poète grec[3], pour flatter l’atticisme aristocratique de la galerie, ou qui risque les obscénités des dernières scènes de Casina[4], pour exciter le rire sans vergogne des derniers gradins. Quoi qu’on en ait pu dire[5], la comédie latine semble donc avoir un caractère propre, une valeur d’invention créatrice, une couleur véritablement nationale. Qu’importent les libres emprunts de Plaute ? Molière, en traduisant l’Amphitryon et l’Avare, ne les a-t-il pas marqués au sceau de son génie, et quelqu’un soutiendrait-il que les Plaideurs ne valent rien parce que l’idée en a été prise dans les Guêpes ? C’est La Fontaine qui a dit, avec sa grace ordinaire :
ce vers pourrait servir d’épigraphe à ce qu’a écrit l’auteur des Ménechmes. Dans tout ce vieux théâtre, la saveur romaine est sensible.
- ↑ Plaut., Menechm., prol., 11.
- ↑ … Screator… muccidus…,(Mil. glorios., 644.)
- ↑ Térence, en écrivant pour les patriciens lettrés, affectait quelquefois de ne pas même dire le nom de l’auteur original, sous prétexte que chacun le savait :
.....Ni partem maxumam
Existimarem scire vestrum…(Heautontim., prol., 8.)Plaute n’avait pas toutes ces finesses recherchées ; c’était, avant tout, un homme du peuple.
- ↑ Il avait lui-même conscience de l’impudicité de ses vers : Spurcidici insunt versus inmemorabileis. (Capt., prol., 56.)
- ↑ Je sais le mot d’un très judicieux critique : In comœdia maxime claudicamus. (Quintil., X, 1.) Mais quelquefois il y a de la sorte chez les plus rares esprits, surtout quand il s’agit du genre comique, des bizarreries particulières, des lacunes de goût bien étranges. N’est-ce pas l’auteur du Télémaque qui trouvait du jargon dans les vers de Molière ? N’est-ce pas M. de Schlegel qui écrivait sur l’auteur du Misanthrope le fabuleux jugement qu’on connaît ?