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MOUVEMENT INTELLECTUEL DE LA SUISSE.

nement son succès à ce qu’il a de dramatique et d’animé, quoique dans un ton qui n’est pas toujours naturel. Au surplus, l’histoire a, par elle-même (et c’est là son grand côté), une certaine dignité scientifique ou morale qui la sauve aisément du lieu-commun et de la frivolité. Aussi, les productions historiques comptent-elles, dans la Suisse actuelle, parmi les plus remarquables ; mais on ne distingue pas encore, au milieu de ces travaux divers, quelque ouvrage central qui doive les résumer tous comme celui de Muller résuma les travaux de son époque. Après lui (et dès qu’on s’occupe de l’histoire de la Suisse, tout vous ramène, par toute sorte de détours, à celui qui l’a pour ainsi dire créée), après le monument qu’il a élevé et qu’achèveront ses continuateurs, il reste à faire un travail, sinon aussi glorieux, du moins peut-être aussi utile et à coup sûr aussi difficile en son genre : une histoire générale de la Suisse, qui ne soit ni un corps entier d’annales dans tous ses détails, ni un pur et simple abrégé, mais qui, tenant une balance équitable entre les diverses peuplades helvétiques, présente, dramatiquement et philosophiquement à la fois, la Suisse historique dans son ensemble et dans son unité réelle. Cet ouvrage ne pouvait être tenté dans l’époque précédente ; c’est à peine s’il peut l’être dans la nôtre, et, en tout cas, il est encore à venir. Pour le moment, on publie surtout des recherches critiques et une foule d’histoires spéciales et locales, non-seulement d’un canton, mais d’une ville, parfois même de telle vieille abbaye, autrefois suzeraine, dont il ne reste plus que les ruines. Les plus estimées de ces monographies historiques, parmi lesquelles il y en a de très savantes, de très essentielles, sont celles d’Appenzell, par M. Zellweguer, de Zurich, par M. Blountschli, et l’ouvrage de M. de Tillier sur cette ville de Berne, dont l’histoire traverse et résume mieux que celle d’aucun canton l’histoire de la confédération tout entière.

Au milieu de tant de travaux sur des sujets particuliers, il est remarquable pourtant que toutes les grandes questions se trouvent avoir été attaquées : l’époque héroïque et féodale, par MM. Kopp, Hisely, de Gingins ; l’époque politique, qui s’ouvre avec la guerre de Bourgogne, par ce dernier encore ; l’époque de la réforme, par MM. Hottinger et Vulliemin, et dans une foule de publications spéciales, où la réforme est plutôt sévèrement que partialement jugée par les auteurs protestans. Enfin l’époque révolutionnaire elle-même a été le sujet de recherches importantes, parmi lesquelles il faut ranger celles de M. Monnard, de M. de Tillier et la publication de quelques mémoires, entre autres, ceux du landammann Reinhardt.

Dans cette voie, comme dans d’autres sphères, la Suisse renouvelée est aujourd’hui, pour ainsi dire, en quête d’elle-même : elle ne s’est peut-être pas trouvée encore, elle se cherche toujours, mais elle le fait du moins dans une direction nationale. C’est là, c’est cette inquiétude légitime de son présent comme de son passé que l’on prend trop souvent au dehors pour un état perpétuel de révolution, lorsqu’on ne connaît pas les mœurs, l’histoire, les singuliers mouvemens de ce pays, et que, le voyant agité sur un point, on ne