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DE LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALE.

luttons sans cesse contre les limites de la nature ; mais rien ne peut nous arracher à cette destinée. Voulez-vous nous réduire au bonheur de la perception, au bien-être matériel : c’est nous réduire à la barbarie. Défendez-vous à la réflexion d’intervenir dans la recherche du bonheur, c’est détruire toute la civilisation. Pourquoi alors admettre l’industrie du moyen-âge ou celle de l’Amérique ? L’infini est là comme partout, comme dans toutes nos pensées. Prétendez-vous séparer la terre du ciel et absorber en Dieu toutes les espérances qui dépassent la réalité ? Il faut une forme positive à la pensée comme à l’amour, et cet absolu vide, négatif, cette grandeur sans mesure, en un mot le dieu que conçoit M. Rosmini, n’inspire aucun désir et ne peut pas même se concevoir. Mais n’insistons pas sur cette critique, et suivons le philosophe dans les développemens de son utopie.

II.

Cicéron considérait le monde comme la cité universelle des dieux et des hommes ; c’est l’église, dit M. Rosmini, qui doit réaliser cette pensée et gouverner l’humanité comme une seule famille. Hors de l’église, il n’y a que des sociétés limitées, par conséquent forcées de se combattre, condamnées à la guerre, soumises à des maîtres, réglées par un droit violent et tyrannique. Dans l’église, toute limite disparaît, et avec les limites disparaissent les guerres et les tyrannies ; alors commence la véritable société avec l’unanimité de ceux qui la constituent. Donc l’état doit céder à l’humanité, l’empire[1] à l’église, le droit à l’équité, toute association limitée à l’association universelle.

Quels seront les moyens accordés à l’église pour établir sa domination ? Le gouvernement de l’humanité, dit M. Rosmini, ayant la paix pour but, ne peut se servir de la guerre pour moyen : il doit exiger la liberté, l’égalité, l’abolition de tout servage, et toutefois c’est par l’amour, c’est par la charité seulement qu’il doit agir. Ainsi, après avoir exalté l’église, M. Rosmini reconnaît tous les droits juridiques de l’empire : c’est à l’état qu’il laisse la propriété, le droit de la guerre, le droit de punir.

La distinction entre l’église et l’état, d’après M. Rosmini, se fonde sur la distinction qui existe entre le droit individuel et le droit social.

  1. Le mot empire (signoria) désigne ici le pouvoir temporel, qui s’appuie sur la force, par opposition au gouvernement spirituel, au gouvernement de l’église, dont l’action est purement morale.