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les détails profonds de Daniel. Walter Scott lui-même, qui écrivait quelquefois un peu vite, sous le fouet des éditeurs pressés de publier et de se ruiner en le ruinant, signale ce mérite comme son caractère propre. Sans doute ; mais ôtez-lui ce mérite, il est perdu : son mensonge persévérant est détruit et retombe sur lui. Publiciste, on l’eût estimé, c’est-à-dire craint ; romancier, on va le huer. Il ne fallait pas que jamais on pût le convaincre d’avoir inventé Mme Veal et sa commère Bargrave, quand il publiait gravement la Narration véritable de l’apparition d’une certaine madame Veal, qui se montra le lendemain de sa mort à madame Bargrave de Cantorbery, le 8 septembre 1705, laquelle apparition recommande la lecture du livre de Drelincourt, sur les consolations à l’heure de la mort. Notez que le libraire calviniste avait en magasin un grand nombre de ces Drelincourt, et que le complaisant De Foë en facilitait ainsi l’écoulement. Il ne fallait pas non plus qu’on lui reprochât d’avoir prêté des intentions controuvées et des paroles non authentiques à l’envoyé français, Mesnager, dont il édita, en 1717, les prétendues négociations. Mesnager, Français et catholique, avait dû porter le fer et le feu en Angleterre, et notre ami lui impute de fort vilaines perfidies. Les déistes aussi commençaient à lever la tête ; un de leurs argumens favoris consistait à nier la spontanéité du sentiment religieux. Que vont-ils dire, s’il est prouvé que Dickory Cronke, fils d’un chaudronnier, sourd et muet, sans rapport avec les hommes et relégué dans une solitude du « comté de Cornouailles, a deviné la religion chrétienne, le calvinisme, sa dernière expression, et le dissent, ce protestantisme définitif qui proteste contre lui-même ? » Le nom seul de Dickory Cronke est une preuve. Or, voici les mémoires du sourd-muet « ornés d’épitaphes, prophéties, généalogies, de gravures représentant l’ermitage et d’autographes ; » — le tout extrait des documens originaux et certifié par des autorités irréfragables (unquestionable), comme Daniel a bien soin de le dire. On en douta. De Foë évoqua un second sourd-muet, M. Duncan Campbell, « demeurant cour d’Exeter, en face du palais de Savoie, au troisième étage, porte C, dans le Strand. On n’ouvre qu’à deux heures. Sonnez fort. » M. Duncan Campbell, trois jours après l’impression de ses mémoires, avait délogé et suivi en Amérique un ministre dissenter. Le lecteur populaire mordait très bien à cet hameçon romanesque et dévot ; tout cela était si simple, si peu orné, si vrai ; le ton en était si naïf et le fond si édifiant ! D’autres personnages se succédèrent alors, tous fils du même père, sans que nul s’en doutât, tous également vrais : un pirate, nommé Singlelon, qui avait vu les jésuites à l’œuvre au