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LES PSEUDONYMES ANGLAIS.

raguay et qui en disait pis que pendre[1] ; une trop jolie fille, née en prison, d’un voleur et d’une bohémienne, et qui courait le monde pour se convertir à la fin, et prouver ainsi la prédestination, Molly Flanders[2] ; le colonel Jacque, prédestiné également à couper les bourses, à se marier cinq fois en très mauvais lieu, à se battre contre les Turcs et à se repentir[3].

Les dissenters applaudissaient ; les incrédules recommençaient à douter. Alors De Foë renonça aux noms propres qui devenaient compromettans et employa les anonymes ; un anonyme raconta toutes les sottises de la royauté déchue, mais sans les blâmer, ce qui les rendait plus odieuses[4] ; un sellier, anonyme aussi, narra cette terrible punition de Dieu contre la royauté, la peste de Londres en 1666[5]. Ces heureux anonymes, dont les histoires étaient on ne peut plus amusantes, relevèrent le crédit du conteur, qui trouva le moment bon pour rappeler en scène Duncan Campbell, revenu d’Amérique, et demeurant dans « White-Hall, cour de Buckingham, à l’enseigne de la barrière verte. » C’était bien précis : White-Hall ne contenait aucune cour, allée ou rue qui s’appelât cour de Buckingham, et notre inventeur procédait absolument comme un homme qui donnerait son adresse en France, à Paris, quartier de l’Observatoire, auprès du Val-de-Grâce, impasse du Sansonnet vert, donnant dans la rue Cassini, chez le marchand de vin, à l’enseigne du tonneau rouge. Ce qui dépistait surtout les consommateurs de calvinisme et de romans vrais, c’est que le narrateur s’emparait de personnages à demi réels, dont le nom, et comme le vague nuage, avaient couru dans le peuple, et dont un souvenir incertain flottait dans les esprits. Ainsi, l’une des mille sultanes dont Charles II avait orné ou déshonoré son trône, venait, disait-on, d’épouser, dans sa vieillesse repentante, je ne sais quel seigneur allemand. Vite, Daniel exploite ce repentir de l’heureuse maîtresse, et publie l’Histoire de la Vie des étranges fortunes de mademoiselle de Belau, « connue par beaucoup de personnes à Londres, sous le nom de lady Roxana, pendant le règne de Charles II[6]. » Robinson Crusoé est de la même famille ; on voit maintenant à quelle source il faut rapporter

  1. The Adventures of Captain Singleton, etc., 1717.
  2. The Fortunes of Moll Flanders, etc., 1729.
  3. The History of the truly honorable Col. Jacque, 1722.
  4. Memoirs of a Cavalier (sans date).
  5. A Journal of the Plague year, etc., 1722.
  6. The Fortunate mistress…, 1724.