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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

daient autour de lui avec une nouvelle énergie, et, pour mieux frapper son imagination, prenaient une forme fantastique. Sa mort prochaine était annoncée par des fourbes dont les prédictions trouvaient du crédit parmi le peuple. Une paysanne du village de Valentano, nommée Bernardina Beruzzi, s’érigea en prophétesse ; elle annonçait la vacance du saint-siége par un assemblage d’initiales mystérieuses, P. S. S. V., ce qui signifiait : Le saint-siége sera bientôt vacant ; prestò sara sede vacante. Le pape était trop éclairé et trop religieux pour admettre la possibilité de lire dans la destinée ; mais il pouvait croire qu’il était facile à certains devins de prédire un avenir dont ils se rendraient les maîtres, il craignait que le fer ou le poison ne vînt à leur secours. C’est dans les cercles de Rome, c’est presque en public et à haute voix, que les partisans des jésuites accusaient Clément et qu’ils flétrissaient son nom. L’idée de sa déposition, de son remplacement, n’effrayait pas leur audace. Des images insultantes, des tableaux hideux, annonçaient une catastrophe prochaine sous la forme d’une vengeance providentielle. Bien loin de repousser l’appui d’un mensonge honteux, le père Ricci ne recula pas devant une entrevue avec la sorcière de Valentano[1]. Encore si le pape n’avait eu à combattre qu’une seule crainte, si les princes lui rendaient le repos que lui enlevaient les théologiens ; mais leur colère assoupie pendant deux ans se réveillait plus violente que jamais. Charles III perdit entièrement patience ; il menaça le pape de le déshonorer en imprimant sa lettre. Clément, frappé de terreur d’une part, et de l’autre accablé de honte, n’osait plus lever les yeux sur les ministres étrangers ; il évitait de les rencontrer. Sous prétexte de soins nécessaires à sa santé, il leur refusait les audiences ordinaires et se retirait à Castel-Gandolfo, seul avec son fidèle Francesco. Bernis lui-même ne trouvait plus d’accès auprès de lui. Un incident nouveau redoubla son embarras. Azpurù, archevêque de Valence, était mort. Charles III résolut de le remplacer à Rome par un homme ferme et nomma Moniño. Aucun choix ne pouvait être plus significatif ; ce nom était déjà une hostilité (1772).

François-Antoine Moniño, depuis comte de Florida Blanca[2], était

  1. Il la vit chez l’avocat Achilli. Il faut des preuves pour de pareils faits. Le lecteur impartial ne les révoquera pas en doute, lorsqu’il saura que ces accusations sont articulées positivement dans une lettre très longue et très détaillée, adressée par Florida Blanca au pape Pie VI, et qu’elles ne sont ni réfutées ni niées dans la réponse de ce pontife (février 1775). Au reste, dans plusieurs pamphlets publiés en ce moment, on réhabilite la sorcière de Valentano.
  2. Il fut ensuite premier ministre pendant tout le règne de Charles III et pendant les premières années de Charles IV.