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sa vieille mère employait à faire des bobines. Nous qui connaissons déjà les procédés de Daniel, de Psalmanazar et de Macpherson, nous ne nous étonnons plus des ruses littéraires du fils du bedeau ; la supercherie sérieuse de ces hommes et de ces temps nous est familière.

Cependant les honnêtes archéologues du pays s’éveillent, M. Barrett, M. Catcott. Ils font des recherches, et l’enfant les dupe ; il leur donne des fragmens nouveaux qu’il fabrique ; eux, lui remettent de l’argent qu’il accepte. Alors, cédant à la séduction de sa propre facilité et voyant le Pactole rouler devant lui, il écrit la nuit, sous la clarté de la lune, et se promène, radieux et rêveur, dans les prés de Redcliffe, l’œil fixé sur ce clocher paternel, berceau de sa gloire. La curiosité des antiquaires et des bourgeois devient plus intense, les espérances de Chatterton s’allument plus vives ; bientôt, ne trouvant pas que sa découverte fasse assez de bruit à Bristol, il écrit à Horace Walpole, auquel il propose de lui révéler une série de vieux peintres bristoliens, récemment découverts par lui, Chatterton.

Par malheur pour le jeune rêveur de Bristol, Macpherson l’avait précédé d’une année dans cette carrière difficile, et, grâce aux faiblesses de Mason et à la crédulité de Gray, Walpole venait d’être mystifié, lui qui redoutait surtout le ridicule. Après avoir introduit dans les salons anglais l’Homère keltique, Walpole se sentait honteux ; la controverse soulevée par le héros sauvage le désorientait et l’effrayait. Il se mit à rire des peintres bristoliens, jugea les fragmens envoyés par Chatterton d’une authenticité douteuse, et ne se prononça pas. Si la langue kelte lui était inconnue, il savait bien les mœurs et le style du moyen-âge ; il venait de publier son Château d’Otrante, roman de chevalerie, pastiche de l’antiquité gothique, frère des œuvres de Tressan, de Florian et des Incas. Juge et partie, rival et rival inférieur de l’enfant de Bristol, il eut cependant le bon goût de répondre à Chatterton, de s’intéresser à lui et de lui demander des détails sur sa situation personnelle ; Chatterton dans sa réplique, lui dit qu’il était le fils d’une pauvre veuve, qu’il pensait à s’occuper de littérature, et qu’il priait Walpole de l’y aider. Walpole, prêt à partir pour la France, où il allait causer avec Mme Dudeffant, laissa de côté la lettre et partit ; à son retour, il trouva une dernière lettre de l’enfant, pleine d’orgueilleuse colère, et renvoya les manuscrits ; telle est la simple narration des rapports qui eurent lieu, entre l’homme de cour et le fils du bedeau.

Un an s’écoule. Lambert, l’avoué chez lequel travaillait Chatterton, découvre dans le pupitre de son clerc un testament signé de lui et