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propre, à galvaniser le cadavre, à replâtrer l’édifice croulant dont elles avaient hâté la ruine. Bon gré mal gré, pour plaire à ceux-ci, par terreur de ceux-là, le sultan adoptait des réformes dont il ne comprenait guère la portée véritable, ou qui avaient à ses yeux le mérite d’augmenter dans son peuple la haine contre les infidèles. Aussi, quand un événement inattendu faillit renverser toutes ces prévisions et bouleverser les plans d’une politique intéressée, en mettant à nu les misères de l’empire turc, ces mêmes puissances, prises au dépourvu, vinrent charitablement séparer les deux armées, et adoptèrent pour mot d’ordre cette formule sacramentelle : intégrité du territoire ottoman !

Quelle valeur avaient en elles-mêmes ces réformes rêvées à Constantinople, dont la création d’un Moniteur était aux yeux éblouis de l’Europe la plus complète expression ? La courte lutte du sultan contre le pacha l’a fait voir. Les troupes turques, honteuses, démoralisées sous le nouveau costume qu’on leur infligeait, perdirent toute confiance, tandis que les ulémas, les gardiens de l’islamisme, criaient au scandale[1]. Les Osmanlis de vieille race présageaient la ruine de leur pays dans ces innovations qu’on leur disait destinées à le sauver ; ils avaient raison dans ce sens, qu’elles étaient adoptées plutôt par faiblesse que par intelligence. Pour qu’une réforme soit réelle, il faut que, partant d’un peuple énergique, las d’être régi par des institutions auxquelles le temps a mêlé des abus, elle remonte jusqu’au trône, ou qu’elle descende du trône vers le peuple par la volonté d’un prince éclairé qui force ses sujets à se préparer un avenir plus heureux. En Turquie, ce qui ressemblait à des innovations ne pouvait procéder ni de l’une ni de l’autre de ces deux causes ; la race conquérante représentée par le sultan abdiquerait sa puissance le jour où elle renoncerait à suivre ses erremens anciens. Quant au peuple, il n’existe pas, car il ne convient guère d’appeler de ce nom des rayas asservis, des tribus nombreuses, mais divisées, qui n’ont de commun entre elles que le joug sous lequel elles gémissent.

L’Egypte surtout a donné un éclatant exemple de la manière dont

  1. « Des réformes projetées par Mahmoud, dit le docteur Worms (dans ses Recherches sur la propriété territoriale dans les pays musulmans, — Journal Asiatique, mars 1844), le nizam djedid et une innovation d’assez mauvais goût dans quelques parties du costume sont encore les seules qui aient été réalisées... Les concessions faites jusqu’ici et celles qui ont été si pompeusement promises par le khat-scheriff de Gulhané sont des leurres auxquels l’Europe s’est laissé prendre facilement, parce qu’elle est peu ou mal instruite de ce qui concerne l’état intérieur de la Turquie. »