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les Turcs sont susceptibles de comprendre et d’interpréter les idées qu’ils empruntent à l’Europe. Là, on a vu le pacha accueillir avec empressement les étrangers, demander à l’Occident le secours de ses lumières, entreprendre, de grands travaux, fonder des écoles, organiser une flotte et une armée, et tout cela, dans quel but ? Dans le but d’affermir son autorité, de se rendre indépendant de son maitre, de changer un pachalik en royaume héréditaire, sans prendre nul souci de la race égyptienne, sans songer à la régénérer, comme il se plaisait à le faire croire. Les peuples qui lui obéissent ont peut-être plus perdu que gagné à ces innovations qu’on leur imposait violemment, et dont tout le profit revenait au souverain. Ils n’étaient que des manœuvres contraints de travailler à cette décoration qui trompait les yeux de l’Europe. L’Egypte n’a pas cessé d’être la fertile et malheureuse contrée soumise tour à tour aux Perses, aux Grecs, aux Romains, aux califes, aux mameluks, et enfin aux Ottomans. A distance, il est vrai, on pouvait se faire quelque illusion sur le véritable état de ce pays. La France, qui avait contribué à lui donner le vernis de civilisation dont il brillait, se laissa facilement aveugler. Elle rêvait une nation forte et prospère renaissant aux bords du Nil comme par enchantement, prête à accepter son alliance, à fermer de ce côté à une puissance ambitieuse cette route des Indes, par laquelle Bonaparte s’était un instant acheminé.

Si l’Angleterre, plus calme dans ses jugemens, comprenait mieux la situation intérieure de l’Egypte, elle ne voyait pas sans déplaisir ce nouvel empire, qui s’enfonçait presque au cœur de l’Afrique et débordait sur l’Asie par trois côtés, se développer rapidement, se régulariser sous l’œil vigilant de Méhémet-Ali. Ce vaste pachalik dont les deux capitales, placées tout près l’une de l’autre, semblent un double anneau de fer liant et consolidant les deux parties que l’isthme divise, s’interposait d’une façon désagréable entre Malte et Aden ; dans un jour de mauvaise, humeur le pacha pouvait refuser passage à la correspondance de l’Inde, forcer les dépêches à rebrousser chemin, ou les laisser piller par les Arabes. Sans vouloir, au prix d’une paix ardemment désirée, attaquer de front l’Egypte constituée en état de défense, la politique anglaise s’occupa à diminuer cette puissance qui l’offusquait ; elle alla jusqu’à intéresser l’Europe entière, moins la France, à une équitable répartition de provinces entre le sultan et le vice-roi. L’intérêt de l’Angleterre exigeait que les pays contestés restassent au pouvoir de celui des deux souverains qui pourrait le moins les gouverner, c’est-à-dire qu’un germe d’anarchie sans cesse