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une comédie, une mascarade ; on sort de la pinacothèque, on vient d’admirer les marbres d’Égine et cette sublime inexpérience du naissant génie des Hellènes ; on entre dans quelque temple antique, dans quelque basilique d’origine athénienne, voici une chaire qui semble la tribune de Périclès, écoutez ! c’est un moine ignorant qui déclame. Étrange cité ! continue le poète ; visage d’Apollon, si l’on veut, mais d’un Apollon qui vient de s’enivrer comme Silène. Pourquoi tous ces souvenirs de la Grèce ? Pourquoi ces divines merveilles du peuple le plus vif, le plus ingénieux, le plus élégant qui fut jamais ? Pourquoi tous ces trésors chez les barbares ? Et que font les muses chez ces fabricans de bière ? — Il est singulier, assurément, que ce soit un Allemand qui parle ainsi. J’ai vu Munich, j’ai remarqué, comme M. Dingelstedt, le contraste de ces trésors de l’art avec les habitudes inélégantes et l’esprit endormi de la Bavière, mais je me serais bien gardé de le dire avec tant de dureté. Je ne songeais même pas à en sourire ; j’admirais plutôt cette divine influence du génie grec qui se fait admirer jusque chez les Sarmates. Il y a dans la philosophie de l’histoire de Hegel un chapitre qui m’a toujours vivement saisi, c’est le chapitre sur la Grèce. Ce sombre et obscur métaphysicien, cet écrivain embarrassé qui enferme sa pensée sous un langage inaccessible, quand il s’approche du monde grec, le voici qui en parle avec un enthousiasme et une grâce charmante. Je ne sais quel rayon de soleil perce tout à coup ses brouillards. Merveilleux pouvoir de cette beauté incomparable qui rajeunit, après deux mille ans, le front nuageux du Sicambre et lui met sur les lèvres des paroles d’or ! Eh bien ! ce sentiment que m’inspirait la lecture de Hegel, je l’ai éprouvé plus d’une fois en visitant Munich, et je puis dire que l’ironie de M. Dingelstedt m’a cruellement blessé. D’ailleurs, les sujets ne manquaient pas à sa verve irritée, et, au lieu de se moquer, il pouvait adresser à son peuple de sévères conseils. Il y a une chose qu’il faut oser dire à Munich, c’est que l’art y a reçu une mission funeste, c’est qu’il a été chargé d’endormir les âmes. La fière et libre muse de Sophocle et.de Phidias a été soumise à une domesticité indigne. L’art a été abaissé, grand Dieu ! jusqu’à être un amusement pour ces esprits qu’il fallait absolument distraire et arracher aux préoccupations inquiètes de la pensée. Voilà ce qu’un poète courageux eût pu dire, et cette idée, entre les mains de M. Dingelstedt, aurait pu lui inspirer d’éloquentes remontrances, des conseils, des avertissemens plus salutaires que la raillerie.

Mais c’est à Berlin que je veux entendre la plainte du veilleur.