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Que demandera-t-il, puisque c’est là désormais que s’agitent les destinées de l’Allemagne ? Il ne demandera rien ; il veut décidément railler et nous faire regretter la douloureuse inspiration de ses premiers chants. Voici comment il commence :


« L’Arabe chemine vers la Mecque sur son chameau qui trébuche ; ainsi va le poète vers Berlin, sur sa gazelle au pas inégal. Berlin est l’Orient de l’Allemagne, et si Berlin n’a point de palmiers, certes personne au monde ne dira que le sable et la poussière lui manquent. Berlin est le minaret de l’Allemagne, et, au lieu des muezzins, ce sont mille journalistes qui crient à se rompre le gosier, ce gosier si bien humecté. Alors les croyans et les dévots tombent en prières ; un derviche de piétiste danse, macérant son corps et son ame. Accompagné de sa troupe, M. Nante, toujours fidèle à la croix, s’enivre d’opium, publiquement, en pleine rue. Des eunuques mutilés, chassieux, se glissent furtivement, et, partout où il y a des hommes, ils vont leur chercher querelle. Enfin, pour que la comparaison soit complète, le muphti a donné ses ordres : Je veux voir auprès de mon trône tous les magnifiques diamans de l’Allemagne ; que le printemps arrive, et, vite, faites-moi venir M. Bulbul-Rückert, personnage de qualité et Philomèle de l’Occident. »


L’esprit ne manque pas dans les vers de M. Dingelstedt, mais je le crois appelé à une poésie plus sérieuse. Il y a chez lui un mouvement lyrique plein de grâce et de fierté, et la tristesse pénétrante des pièces qui ouvrent le volume faisait espérer plus de force et d’élévation quand il arrive au sujet véritable. Il semble que le poète ait épuisé son inspiration dans les promenades nocturnes de sa petite ville ; maintenant qu’il s’est décidé à courir le monde et qu’il doit parier haut, la voix lui manque. Pourquoi donc tant de promesses en partant ? Pourquoi donc avoir jeté si fièrement le bâton du veilleur ? Combien votre chant, ô poète, était plus harmonieux, dans ces petites rues sombres où vous pleuriez la nuit ! — M. Dingelstedt ne retrouve sa verve que pour adresser à Berlin de sévères adieux. Cependant, malgré la gravité de ses dernières paroles, on peut reprocher à l’auteur la faiblesse de toute cette partie de son livre. Après la poésie vraiment grave du début, après l’élévation des premières pages, il est triste de s’arrêter et de tomber ainsi. On dirait, comme dans la guerre de la Wartbourg, ce lutteur, si fier quand il se lève, et qu’une influence magique trouble et ensorcelé.

Si le poète n’a pas trouvé à Berlin de fortes inspirations, si le veilleur qui nous promettait des plaintes si mâles n’a pas su, dans la capitale de l’Allemagne, exprimer énergiquement sa haine ou son amour, ses regrets ou ses espérances, que dira-t-il de Vienne, où s’arrête son voyage ? Il adressera en passant une gracieuse épître à