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M. Nicolas Lenau, il jettera à la ville, en d’énergiques images, quelques reproches sanglans ; mais là aussi nous regretterons la stérilité de son inspiration. On ne sait en vérité comment expliquer cette faiblesse subite, au moment même où la verve du poète devait éclater avec le plus de puissance. Ce n’est pourtant pas le talent qui lui manque ; je crois que M. Dingelstedt est supérieur à M. Hoffmann de Fallersleben, je crois qu’il est un des poètes les plus distingués dans cette petite phalange qui m’occupe aujourd’hui. On ne peut lui refuser de rares qualités, une intelligence de l’art très fine et très élevée, qui le rapproche de M. Anastasius Grün. Il a sérieusement songé au difficile problème que présente la poésie politique ; comment faire exprimer par la Muse, sans qu’elle doive en souffrir, les plaintes et les réclamations du forum ? Comment élever jusqu’à la dignité de la poésie les discours des tribuns ? Voilà la difficulté, et M. Dingelstedt s’en est préoccupé avec un véritable sentiment d’artiste. Son livre est composé avec soin ; la mise en scène est ingénieuse ; le cadre est habile : malheureusement, dans ce cadre il y a toute une partie de la toile qui n’est pas remplie, et où le pinceau du peintre a jeté au hasard une faible et insuffisante ébauche.

Ce sentiment fin, délicat, distingué, que j’ai loué chez M. Dingelstedt, demande grâce pour les négligences de sa plume dans les dernières pages ; car c’est là un mérite extrêmement rare chez les écrivains de cette école. En quittant M. Dingelstedt pour M. Prutz, nous voici bien loin des régions sereines et discrètes où nous venions d’entrer. Il faut nous résigner aux lieux communs et aux déclamations. M. Prutz a débuté en 1840 par une chanson sur le Rhin, un Rheinlied, qu’il opposait à la chanson de M. Bekker. Au lieu de s’adresser à la France, il apostrophait les gouvernemens de l’Allemagne, et c’était contre eux qu’il défendait le Rhin libre, le Rhin allemand. Cette chanson n’était pas de beaucoup supérieure à celle du greffier de Cologne ; médiocre par les idées, déclamatoire dans la forme, elle donna pourtant une certaine célébrité à l’auteur. L’année suivante, M. Prutz publiait un recueil qui comptait beaucoup sur le succès précédent de son Rheinlied. Ce n’était pas précisément un recueil politique : la pièce de vers sur le Rhin, un appel aux poètes, deux ou trois morceaux encore, indiquaient seulement la direction que M. Prutz se préparait à suivre ; c’était, surtout un recueil de ballades dans une langue pompeuse et emphatique, qui sentait les bancs du collège. Le poète avait dit en commençant :


« Allons, debout ! et sans crainte ! le monde est bon et beau. Pourquoi ce