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THÉÂTRES.

Et reportait ailleurs ce qu’il avait d’amour.
Qu’a-t-elle fait au ciel pour être ainsi punie ?…
Élisabeth, traînant une affreuse agonie,
De débauches sans fin rassasiait sa mort.
La jeune Catherine, à la merci du sort,
Était là, belle, aimante… En vain l’impératrice
Lui parlait de vertu par la bouche du vice,
En vain, pour se tromper, dans ses rêves de feu,
La pauvre enfant mettait son ame aux pieds de Dieu !
Cinq ans elle a vécu de prière et de larmes.
Peut-on toujours pleurer au mépris de ses charmes,
Et prier dans le deuil quand on n’a que vingt ans ?
Faites donc que l’hiver remplace le printemps.
— Et puis, on la tenta… Je ne saurais vous dire…
Si bien que par ennui, par dépit, par délire,
Par vengeance peut-être, enfin par désespoir,
Elle connut l’amour dans l’oubli du devoir.
Catherine tomba comme les ames hautes.
Elle est grande dans tout, et même dans ses fautes.
Pierre perdit son cœur ; un autre l’eût sauvé.
Devant lui, devant tous, marchant le front levé,
À défaut de l’honneur elle chercha la gloire.
Son ame s’agrandit aux récits de l’histoire.
Pierre voulut alors, avec sa nullité,
Lui barrant le chemin de l’immortalité,
Ainsi que de son lit la chasser de son trône,
Épouse sans époux et reine sans couronne.
Prends garde, malheureux ! l’abîme est sous tes pas…
Elle avance toujours… il ne recule pas !…
Dans ce duel il faut que l’un des deux succombe.
C’en est fait ! elle règne, et lui dort dans sa tombe…


Charles Magnin.