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vegas de Grenade, M. Lafuente y Alcantara avait à relever les principales ruines des dominations qui ont tour à tour subsisté entre l’Èbre et le Xenil, de l’établissement des comptoirs phéniciens ou carthaginois à l’expulsion du dernier Maure. M. Lafuente n’a publié encore qu’un seul volume qui se recommande par un excellent récit des guerres de Sertorius, dont le jeune historien nous a donné un portrait qui restera, nous le croyons, dans les lettres espagnoles, et par un tableau vigoureusement tracé des invasions vandales et wisigothes. Par la clarté du récit et l’élégance de la diction, M. Lafuente se rattache à l’école de M. de Toreno. Il est cependant beaucoup plus naturel, beaucoup moins surchargé d’images, que l’historien des guerres de l’indépendance. Cette tendance à la simplicité distingue essentiellement d’ailleurs la littérature espagnole de 1844 de celle de 1808.

Don Joaquin Pacheco n’a publié que le premier volume de son Historia de la Regencia de la reina Cristina. L’époque présente se liant étroitement à celles qui précèdent, ce premier volume est tout simplement une introduction où M. Pacheco a retracé les événemens qui se sont accomplis en Espagne depuis l’abdication de Charles IV jusqu’à la mort de Ferdinand VII. M. Pacheco a recommencé l’œuvre entière de M. de Toreno ; mais jamais historiens explorant les mêmes époques ne se sont moins souvent rencontrés. Faible penseur, narrateur émouvant, brillant coloriste, tel est en deux mots l’auteur de l’Histoire du soulèvement de 1808 : c’est tout le contraire qu’il faut dire de M. Pacheco. M. Pacheco ressemble bien moins encore à M. Tapia, qui, bon gré mal gré, enchâsse les événemens et les institutions dans des formules toutes préparées d’avance : les réflexions que lui inspirent les calamités et les mécomptes essuyés par l’Espagne, depuis le commencement de ce siècle, prouvent très clairement le soin et la conscience qu’il apporte à ses études et à ses investigations. On pourrait sans doute, avec plus d’ampleur et d’une manière plus saisissante, raconter les guerres de l’indépendance, la révolution de 1820, les réactions de 1823, le marasme de 1828 et de 1830, si souvent entrecoupé de convulsions et d’émeutes ; on pourrait juger avec plus d’énergie et de profondeur les fautes et les crimes qui se sont commis durant les deux premières périodes constitutionnelles, mais on ne pourrait porter dans cette appréciation plus de droiture ni de loyauté. La meilleure partie du livre est consacrée à la politique des législateurs de Cadix, dont M. Pacheco met à nu les plus secrets mobiles. Le catholicisme et la royauté, ces deux vieilles adorations de l’Espagne, voilà, il n’est plus permis d’en douter aujourd’hui, la cause que les cortès de 1808 et de 1812 avaient ardemment embrassée ; jamais pourtant en Espagne cette cause n’avait été plus compromise. La royauté avait lâchement brisé son écusson à Bayonne, et, d’un autre côté, les idées encyclopédiques avaient depuis trop peu de temps pénétré en Espagne, pour que leur influence, si peu qu’elle ait duré d’ailleurs, ne s’y fît point encore sentir. Heureusement, parmi les idées de France, il en était une qui, répondant à tous les vieux instincts de la nation espagnole, ne devait plus repasser les monts. C’était le principe de la