Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/968

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Pampelune. Avec MM. Balmes et Romo, don Severo Andriani est aujourd’hui à la tête du clergé espagnol ; c’est également en 1842 que M. Balmes a fait paraître son Catolicismo comparado con el protestantismo, et M. Romo son Independencia de la iglesia de España. Tous les trois s’attachent à prouver que dans le clergé séculier il n’est point un seul ennemi considérable des institutions nouvelles : les adversaires de ces institutions ont été jusqu’ici dans le clergé régulier. Or le clergé régulier est dissous ; ce n’est pas en 1834, c’est à la fin du XVIIIe siècle, qu’il a perdu sa puissance réelle ; la philosophie de cette époque était venue à bout déjà de son influence ; Aranda, Jovellanos, Olavide, en avaient eu complètement raison. Durant la guerre de l’indépendance, les moines ressaisirent un peu de crédit : c’était le prix du patriotisme dont ils ont donné des preuves irrécusables tant que l’ennemi a occupé le territoire ; mais ils eurent le tort de prendre un élan de reconnaissance publique pour la restauration des idées et des maximes qui autrefois maintenaient leurs usurpations temporelles : quand ils se sont avisés d’agir en conséquence, on sait ce qu’ils sont devenus. Bien avant les horribles massacres de Madrid, de Murcie, de Valence, les congrégations monastiques pressentaient vivement leur fin prochaine ; en 1834, nous avons vu les moines dans la foule, humiliés, le front courbé sous le poids de la réprobation générale : nous étions loin de reconnaître ces fiers dominicains qui régentaient les rois et les peuples, et portaient le glaive de l’inquisition plus haut que Philippe II lui-même sa main de justice et son sceptre.

En vertu d’une loi spéciale, présentée aux cortès en 1840 par le ministre Alonzo, le clergé séculier a reçu dans son sein la plupart des moines qui ont survécu aux émeutes de 1834 et de 1835. Le clergé séculier est un corps respectable et respecté, plein de vertus et de lumières, et dont le patriotisme ne s’est jamais démenti. MM. Andriani et Romo ont scrupuleusement recueilli tous ses titres, à dater des conciles gothiques : ils le défendent avec énergie contre les imputations de Voltaire, qui, dans son Essai sur les Mœurs des nations, consacre tout un chapitre à dénaturer l’histoire du clergé espagnol. Voltaire a prétendu, et de nos jours, après lui, on a souvent répété que, si les évêques, les chanoines, les curés espagnols, ont presque toujours embrassé la cause du peuple, c’est qu’ils jalousaient le crédit des moines, qui de tout temps ont fait cause commune avec le pouvoir absolu. Nous sommes surpris, pour notre compte, que cette opinion n’ait point été abandonnée avec la chimère tant caressée par les publicistes du dernier siècle, et par Montesquieu lui-même, des gouvernemens mixtes et pondérés, constitués de façon que le peuple vive précisément des rivalités et des querelles qui éclatent entre les premiers corps et les premières classes de l’état. Voyez dans les histoires de Pologne, de Danemark, de Suède, et dans notre histoire même, que de maux il est résulté d’une si vicieuse organisation !

Il est bien facile de prouver que, si le clergé séculier d’Espagne n’avait pris souci que de ruiner l’influence des moines, il aurait tout simplement