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doctrines spiritualistes, telles qu’elles ont triomphé en France par M. Maine de Biran et M. Royer-Collard, par MM. Cousin, Jouffroy et de Rémusat. Point d’originalité, point d’idée qui leur appartienne en propre ; mais en revanche une érudition fort considérable et déjà sûre d’elle-même, une réelle intelligence de toutes les opinions qui, dans les académies grecques, dans les universités du moyen-âge et dans les écoles modernes, ont fourni le texte des plus retentissantes polémiques. Ce n’est pas tout cependant que de professer le spiritualisme ; ce n’est pas tout que de proclamer l’âme sensible, active, libre, intelligente. Nous ne voyons là que les facultés et à vrai dire les allures de l’âme, et encore que nous en ayons une idée fort précise, qu’est-ce donc que la notion de ces facultés nous apprend sur l’essence même de l’âme, sur son origine et sa destination ? Que nous apprend-elle sur l’origine et les fins diverses des êtres qui nous entourent ? Que nous apprend-elle sur l’essence de Dieu ? En métaphysique, en religion, en morale, les jeunes penseurs de l’Espagne ont pris leur parti ; les uns et les autres se sont efforcés de définir et de circonscrire la tache que la philosophie est tenue de remplir : à la philosophie le soin d’éclairer l’homme et de former son intelligence, à la religion celui de le moraliser et de déterminer ses actes. Pour le publiciste comme pour le prêtre, pour M. Moron comme pour M. Balmes, c’est par le dogme que se complètent les idées acquises par les libres et légitimes opérations de l’esprit. Assurément, ils auront accompli leur tâche, s’ils contribuent à établir entre la foi et la raison cette harmonie qui dans l’ordre social subsiste déjà entre les deux puissances. Le catholicisme de l’Espagne n’est plus. Dieu merci, la sombre et impitoyable religion des Torquemada et des Philippe II : s’il est bien avéré qu’en politique il n’est point hostile au principe de liberté, pourquoi donc tendrait-il à comprimer ce principe dans l’ordre purement philosophique ?

Depuis deux ans, préoccupés de fonder l’alliance entre la raison et le dogme, les penseurs de l’Espagne se sont jetés avec ardeur dans les polémiques rétrospectives sur l’histoire du clergé et de la religion elle-même, ce qui bien souvent les engage en de stériles controverses. Pourquoi, par exemple, don Jaime Balmes consacre-t-il une partie de son livre à démontrer qu’à l’exception d’un très petit nombre de moines, fanatiques auxiliaires de l’autorité absolue, le clergé d’Espagne a de tout temps réprouvé les persécutions du saint-office ? Qu’avons-nous à faire des dispositions de telle classe ou de telle autre au XVe ou au XVIe siècle ? Et qui songe à demander compte au clergé actuel des institutions violentes suscitées au moyen-âge par les luttes des races et des castes ? Aujourd’hui que les idées de charité, de conciliation, de tolérance, et, pour tout dire, les maximes de l’Évangile, ont enfin repris le dessus, ce qui importe à l’Espagne, c’est que son clergé ne regrette point et ne songe point à justifier ces institutions hideuses. Nous ne voulons pas à ce sujet de garanties meilleures que le vote des évêques et des chanoines aux cortès de Cadix, qui ont aboli le saint-office, et les livres même de MM. Balmes, Romo, Taranco, et Severo Andriani.